Un Bretton Woods des BRICS à Kazan ?
Le sommet des BRICS présidé par la Russie approche à grands pas. Voici tout ce qu’il faut savoir avant cet événement géopolitique majeur.
16e sommet des BRICS
Les ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales du club des BRICS se sont réunis cette semaine pour préparer le sommet des chefs d’État. Ce dernier se déroulera du 22 au 24 octobre à Kazan, en Russie.
Les grands argentiers ont accouché d’un rapport faisant l’esquisse des caractéristiques du système monétaire et financier international du futur. Sans surprise, le dollar en a pris pour son grade :
« La part proéminente du dollar américain dans les réserves des banques centrales doit être réévaluée. Elle soumet l’économie mondiale à des tensions de plus en plus fortes du fait que les intérêts des États-Unis ne sont pas toujours alignés sur ceux du reste du monde ».
L’introduction avance d’emblée que l’apogée du système monétaire actuel est derrière nous et que les crises récentes ont montré les problèmes découlant « d’une dépendance excessive à l’égard d’une monnaie unique et d’une infrastructure financière centralisée ».
Déconnectée du réseau SWIFT, la Russie profite de sa présidence tournante des BRICS pour faire émerger une alternative. Problème, nombre de banques refusent d’utiliser l’équivalent russe SPFS par peur de perdre leurs comptes nostro en dollars auprès des banques américaines.
Les États-Unis protègent leur hégémonie monétaire grâce au chantage qui prend bien d’autres formes, et notamment celle des droits de douane. Donald Trump menace de les rehausser de 100 % pour les pays qui ne voudraient plus garder leurs réserves en dollars.
Malheureusement, garder ses réserves en dollars (ou en euros !) est extrêmement risqué. Le camp occidental (G7 + UE) a en effet « gelé » l’équivalent de 300 milliards d’euros appartenant à la Russie dès le début des hostilités en l’Ukraine.
Dit autrement, tout pays refusant de courber l’échine devant l’impérialisme américain peut tout perdre du jour au lendemain. La question épineuse des réserves de change sera au cœur du sommet des BRICS mardi et mercredi prochain.
Dollar, niet
La militarisation du dollar est probablement la plus grande erreur que le gouvernement américain ait jamais commise. La dédollarisation va accélérer, même si le poids lourd indien ménage la chèvre et le chou.
Alors que New Delhi s’active en coulisse pour internationaliser la roupie, le ministre des Affaires étrangères indien a déclaré ce mardi ne pas vouloir torpiller le dollar. M. Jaishankar a fait remarquer que les politiques américaines compliquaient souvent les échanges avec certains pays et que l’Inde cherchait des « solutions » sans avoir l’intention de renoncer au dollar.
« Nous n’avons jamais visé activement le dollar. Cela ne fait pas partie de notre politique économique ou stratégique, contrairement à d’autres pays. Nous sommes naturellement préoccupés par le fait que certains de nos partenaires commerciaux manquent de dollars pour leurs transactions. Nous devons donc décider si nous renonçons à traiter avec eux ou si nous trouvons d’autres solutions. Il n’y a aucune intention malveillante à l’égard du dollar », a déclaré M. Jaishankar en réponse à une question posée par le think tank américain Carnegie Endowment for International Peace lors d’un déplacement à Washington.
Malgré ce discours de façade poli, le ministre a néanmoins prévenu qu’un monde multipolaire finira par se refléter dans « le choix des monnaies pour les transactions internationales ». Cela s’observe déjà nettement en Chine où les échanges internationaux se font désormais plus souvent en yuans qu’en dollars.
Les réserves de dollars chinoises ont fondu de 42 % en moins d’une décennie. Alors que la banque centrale chinoise détenait pour plus de 1300 milliards de dollars de bons du Trésor US il y a dix ans, elle n’en détient plus que 770 milliards.
Internationalisation des monnaies nationales
Les BRICS ont clairement l’intention de réduire leur dépendance vis-à-vis de la monnaie américaine. Le rapport issu du sommet des banquiers centraux est sans appel et balaye en passant certaines fausses rumeurs.
La principale information est que les BRICS n’ont pas l’intention de créer une nouvelle monnaie. Il n’y aura pas de stable coin adossé à de l’or ou d’autres matières premières, ni de panier de monnaies et encore moins un scam crypto « Unit »…
La Russie milite toutefois pour la création de nouvelles infrastructures financières internationales qui favoriseront les transactions en monnaies nationales. L’Iran est aussi aux avant-postes sur cette question.
« Nous avons conclu de très bons accords dans les domaines financier et monétaire. Nous avons abordé la question des paiements en monnaie locale. Des accords ont été conclus concernant les paiements et les réserves de change. La Chine, l’Iran et la Russie plaident pour l’utilisation des monnaies nationales et la réduction du rôle du dollar dans les transactions internationales », a déclaré le gouverneur de la banque centrale iranienne.
Le rapport souligne que la nouvelle mouture du système monétaire international devra inclure des garanties technologiques devant empêcher toute saisie des réserves de change. Cela ressemble furieusement au bitcoin, une monnaie apatride qui intéresse par ailleurs beaucoup les Russes. Le CEO de l’exchange russe Kickex a déclaré dans une interview accordée à Cointribune que la Russie représente « 17 % du hashrate ».
Malheureusement, l’innovation technologique mise en avant fut plutôt la CBDC… Le papier effleure même l’idée de marchés construit à partir de tokens adossés à des actifs sans vraiment s’étaler sur la question.
Mais au fond, et le rapport ne le cache pas, les frais de transactions en CBDC ou autre token ne peuvent être compétitifs sans une profondeur de marché (des volumes importants). Dit autrement, il y a des limites à l’utilisation des monnaies nationales. Au bout d’un moment, il faudra bien se mettre d’accrod sur une réserve de valeur.
La question des réserves de change
Les banques centrales des BRICS supportent « une diversification des monnaies et des matières premières (or, platine, etc) » pour les réserves de change :
« Il existe une infinité d’options. L’éventail des classes d’actifs va des monnaies conventionnelles, de la dette et de l’or à d’autres plus nouvelles, toutes impliquant un compromis en termes de coûts de transaction, de liquidité et de sécurité.
Les pays qui choisissent d’éviter les monnaies dominantes auront certains avantages en termes de diversification, mais devront faire face à des coûts de transaction plus élevés ainsi qu’une volatilité plus importante. »
Il reste à voir quels pays seront prêts à perdre de l’argent pour priver l’oncle Sam de son privilège exorbitant. Un privilège qui, soit dit en passant, tient au fait que le reste du monde détient majoritairement ses réserves de change en dollars (~7 000 milliards $). Cela permet aux États-Unis d’afficher un déficit commercial abyssal sans que le taux de change du dollar ne s’écroule.
Aucun autre pays n’a ce privilège, mis à part peut-être la Zone Euro. La monnaie unique représente en effet environ 20 % des réserves de change mondiales (58 % pour le dollar).
L’alternative qui coche déjà quasiment toutes les cases s’appelle bitcoin. Le seul point noir est sa volatilité. Elle est pour l’instant trop importante pour qu’une nation ose y placer ses réserves.
Le bitcoin est toutefois la seule monnaie au monde existant en quantité absolument finie, ce qui garantit in fine une volatilité haussière.
Ironiquement, ce sont les États-Unis (si Donald Trump est élu) qui pourraient créer en premier une réserve stratégique de bitcoins. Nous y verrons plus clair lorsque le ver sera dans le fruit…
Terminons en signalant que 35 pays seront présents au sommet des BRICS. Après l’Iran, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, l’Égypte et l’Ethiopie, les nations continuent de se bousculer au portillon d’un nouvel ordre mondial.
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