Tout comprendre aux CBDC et au dollar numérique
Beaucoup de pays s’enthousiasment à l’idée de lancer prochainement leur monnaie numérique de banque centrale. Dans le sillage de la Chine et de son yuan numérique, de nombreux pays désirent leur CBDC. Pourtant l’intérêt d’une telle technologie a été peu discuté. Récemment, Jerome Powell a dévoilé au grand jour les intentions de la Réserve fédérale : lancer un dollar numérique prochainement. Une proposition de white paper publié par Jim Himes avait même été publiée pour défendre cette idée.
Retour sur le concept des CBDC
Les fonctions de compensation et de règlement des paiements se résument à un système de messagerie et de comptabilité. Si nous pensons à tous les paiements qui sont effectués chaque jour entre les clients et les commerçants, les commerçants et les fournisseurs… quoi de plus simple que de faire tenir toute cette comptabilité sur un seul registre géré par un seul gestionnaire de comptes ?
Et pourquoi ne pas faire en sorte que ces comptes soient constitués de la monnaie nationale ? Puisque nous parlons de monnaies ayant cours légal, pourquoi ne pas désigner la banque centrale comme gestionnaire de compte ? Après tout, ne serait-il pas cohérent que l’émetteur de la monnaie se charge également de gérer ce registre ?
C’est l’idée principale de la CBDC. Il s’agit d’une proposition visant à permettre à tous les Américains d’ouvrir des comptes courants composés de monnaie numérique auprès de la Fed. Actuellement, ce privilège est limité aux institutions de dépôt et à quelques organismes financiers.
Le fonctionnement actuel du système financier
Le système de paiements actuel se compose de trois couches. Au sommet, nous avons la Réserve fédérale. La deuxième couche est constituée des banques privées, plus précisément d’institutions de dépôt. Bien que le nombre de banques ait diminué au fil du temps, il y a encore près de cinq mille banques aux États-Unis aujourd’hui. Presque tous les ménages américains ont des comptes bancaires auprès de ces banques.
Il convient de souligner que la monnaie déposée dans les comptes bancaires n’est pas exactement de la monnaie fiduciaire, mais plutôt des obligations émises par des banques privées. Par conséquent, si une banque fait faillite et si ses dépôts ne sont pas assurés, le déposant peut subir une perte.
Ces banques privées, à leur tour, ont des comptes auprès de la Réserve fédérale. Les comptes bancaires détenus auprès de la Réserve fédérale ne peuvent pas être en situation de faillite. Traditionnellement, les banques privées sont responsables du traitement des paiements de détail.
La troisième couche est constituée de plusieurs prestataires de services de paiement (PSP) non bancaires, comme Mastercard ou encore PayPal. Il est actuellement interdit à cette troisième couche d’avoir des comptes de réserve. Ces sociétés ne peuvent donc pas utiliser les rails de paiement de gros de la Fed.
En pratique, cela signifie que les PSP non bancaires doivent soit s’associer à une banque, soit passer par les banques privées pour mener au moins une partie de leurs activités. Cette couche supplémentaire d’intermédiation a été remise en question par de nombreux économistes.
Il s’agit d’une couche qui pourrait en effet être éliminée si une CBDC de gros était mise à disposition. Pour rappel, on distingue généralement les CBDC de gros accessible exclusivement aux intermédiaires financiers et les CBDC de détail qui seraient ouverts à l’ensemble des citoyens.
Faire de la blockchain… pour faire de la blockchain ?
La popularisation de Bitcoin et le buzz autour de la technologie « blockchain » largement alimenté par les fonds de capital-risque ont créé un sentiment d’urgence auprès des banques centrales. Satoshi a déclaré une guerre d’anéantissement avec les banques centrales il y a plus d’une décennie. Certains ont été pris de panique. Les bitcoiners pensent que le fiat est déjà mort, que le dollar vaut zéro (ils ont tort) et que nous serons bientôt tous sur le Lightning Network en train de faire des microtransactions. Naturellement, ils ont réagi.
Les banquiers centraux, détenteurs du monopole d’émission monétaire ne veulent pas fermer boutique. On peut les comprendre. Les médias commençaient à s’enflammer, à évoquer la thèse du BTC comme refuge contre l’inflation, comme la plus grande révolution monétaire depuis des millénaires et finalement comme futur de la monnaie. Elon Musk inondait l’espace médiatique avec ses tweets. Il fallait réagir.
Alors les banques centrales ont sorti le grand jeu. Il fallait montrer aux citoyens que ces institutions étaient à la pointe de la technologie et qu’elles leur offraient la monnaie la plus innovante. Un temps, il semblerait que ces institutions monétaires se soient penchées du côté de Ripple. Certains originaux pensaient même que Ripple remplacerait le système SWIFT. Malheureusement pour eux, Ripple est sans doute un Ponzi au vu des très faibles probabilités de remplacer le dollar et personne n’accorde de crédibilité à cette société de toute façon.
Finalement, c’est le projet d’une monnaie numérique de banque centrale qui s’est imposée.
Les monnaies sont déjà numériques
En fait, vous ne le savez peut-être pas encore, mais la monnaie est déjà largement numérique. Si l’on prend les agrégats monétaires, on le constate facilement. L’agrégat M2 était près de 10 fois supérieur à la masse de papier en circulation aux États-Unis en 2020. Autrement dit, l’immense majorité de la masse monétaire est représentée par des 0 et des 1 sur un ordinateur, et non pas des morceaux de papier.
Bitcoin n’a certainement pas inventé la monnaie numérique, elle préexistait le protocole grâce aux bases de données centralisées. La prouesse réalisée par Satoshi a été de construire une monnaie rare qui fonctionne sur une technologie décentralisée, dépourvue de tiers de confiance.
Le dollar est donc déjà une monnaie numérique qui circule grâce à des ordinateurs et internet. Pourquoi diable veulent-ils alors lancer leur monnaie numérique de banque centrale ?
D’abord un nouveau moyen d’échange
En tant qu’unité de compte et réserve de valeur, un dollar numérique n’apporterait fondamentalement rien de nouveau. Bien sûr, à condition que les dollars soient complètement interchangeables avec la version classique du billet vert. On s’attend naturellement à ce que toute variation observée sur le dollar numérique soit aussi présente sur le dollar.
Si les deux actifs ne suivaient pas exactement les mêmes variations, cela signifierait que les États-Unis disposaient de deux monnaies nationales. Certains ont évoqué cette piste afin de favoriser des taux d’intérêt nominaux négatifs durant les phases de récessions. Cette piste ne semble pas être la voie privilégiée par le gouvernement américain. En effet, des risques évidents pourraient apparaître.
Après tout, si un dollar varie davantage que l’autre, cela ne fera qu’alimenter la méfiance à l’égard du système financier américain. Et ce système financier suscite déjà beaucoup de méfiance. Nombreux seront ceux qui craindront que la banque centrale ne décide dévaluer arbitrairement l’une des deux monnaies.
Comme on l’a vu, il n’y a aucun changement sur les fonctions de réserve de valeur et d’unité de compte. La CBDC introduit donc une nouveauté sur la dimension de médium d’échange. Voilà ce qu’apportent concrètement les CBDC.
Après tout, le yuan numérique est la CBDC la plus en avance et n’est pour l’instant qu’une application de paiement. Une application reliée au système de crédit social, certes, mais une application de paiement à l’instar de Venmo ou PayPal.
Jerome Powell veut-il réinventer PayPal ?
Tout ça pour une application de paiement ? Une technologie aussi lourde, lente, coûteuse et complexe qu’une blockchain pour une application de paiement ?
Une CBDC est par définition un outil extrêmement centralisé. Il serait plus cohérent d’utiliser une base de données centralisée, d’embaucher des fonctionnaires et de s’épargner tous ces coûts.
Ou peut-être que la Fed souhaite simplement noyer le poisson. « Nous, la Fed, sommes à la pointe de la technologie, nous avons vu l’engouement sur la blockchain, alors voici que le dollar tourne maintenant sur une blockchain, mais avec en plus la confiance du gouvernement. Arrêtez de vous intéresser aux autres cryptos, nous les avons rendus obsolètes .»
C’est sans doute ça.
Vous remarquerez que nous avons observé deux moments où les économistes ont commencé à se positionner sur cette question : 2017 et 2021, les deux phases de bull run du BTC. Ceux de 2017 étaient bien plus optimistes que ceux de 2021 qui avec le recul perçoivent mieux le manque d’intérêt d’un tel outil. Malgré l’excitation que l’on observe sur internet sur l’avenir de l’argent, il semblerait que les économistes ne voient plus autant d’intérêt aux CBDC.
Un dollar numérique anonyme et décentralisé ?
Quelle forme pourrait alors prendre cette nouvelle application CBDC ? En théorie, la Fed pourrait être en mesure d’assurer un certain niveau de décentralisation pour échanger des dollars et augmenter le niveau d’indépendance du système financier. Dans le meilleur des mondes, l’Amérique renouerait avec ses idéaux libéraux et la Fed se battrait pour garantir un haut niveau de vie privée.
Cette hypothèse est néanmoins hautement improbable. La décentralisation et l’anonymat seraient plutôt des bugs du point de vue de la Fed. Une CBDC anonyme et décentralisée faciliterait également la criminalité et le blanchiment d’argent.
On peut donc en déduire que la CDBC sera très probablement fortement centralisée, à l’instar du yuan numérique.
Les CBDC vont-ils tuer les banques ?
Au-delà des applications de paiements, les banques pourraient être partiellement menacées. Il s’agit notamment de l’avis de l’économiste grec Yanis Varoufakis. Celui-ci pense que les banques sont particulièrement terrorisées par une CBDC qui rendrait possible un helicopter money « populaire », plutôt que des quantitative easing qui ciblent Wall Street. Et après tout, pourquoi garder ses espèces auprès de la Wells Fargo qui peut faire faillite ? Autant le placer directement auprès de la banque qui ne fera jamais faillite : la Fed. Dans ce cas, la CBDC pourrait rendre une partie des activités bancaires obsolètes.
Toutefois, même s’il est vrai que les comptes de la CBDC seraient entièrement assurés, il ne semblerait pas que ce soit un argument déterminant pour la plupart des utilisateurs de détail. La Federal Deposit Insurance Corporation assure actuellement les dépôts bancaires jusqu’à 250 000 $ par compte. Il semble peu probable que les ménages et les petites entreprises soient attirés par la CBDC en raison de sa sécurité relative. L’argent détenu dans des comptes auprès PSP non bancaires n’est d’ailleurs pas assuré. Et pourtant, ces sociétés ont de nombreux utilisateurs.
Par ailleurs, quand on connaît l’influence de l’industrie bancaire, on peut raisonnablement penser que ces derniers parviendront à négocier une CBDC « minimale » qui se réduise à une application de paiement gouvernementale ou à une CBDC de gros.
Finalement, les banques restent des institutions extrêmement utiles : elles permettent de transformer les échéances et d’allouer le capital pour financer des projets entrepreneuriaux. Même si une CBDC pourrait les enquiquiner, elles demeureront.
Les quelques atouts des CBDC
Il est vrai que le traitement des paiements serait considérablement facilité si tout le monde avait un compte CBDC. Cela éviterait notamment de devoir communiquer entre les bases de données lors de la compensation et du règlement des paiements. D’un autre côté, cela serait également vrai si tout le monde avait un compte à la Bank of America.
Les ménages et les entreprises américains détiennent des comptes bancaires et non bancaires auprès de milliers d’entreprises. Cette situation n’est pas prête de changer. S’il est vrai que la compensation et le règlement des paiements de faible valeur dans toutes ces bases de données prennent un certain temps (généralement 2 à 3 jours ouvrables), des efforts sont actuellement déployés pour améliorer l’efficacité dans ce domaine comme avec le système ACH.
Les CBDC pourraient également présenter un intérêt pour favoriser l’inclusion financière des personnes qui n’ont pas accès au système bancaire.
Êtes-vous tenté par le dollar fondant ?
L’hypothèse maximaliste en matière de CBDC serait de lancer une monnaie numérique fondante. Il s’agit d’un terme sympathique pour ne pas dire « impôts » supplémentaires. Puisque les gouvernements (et une partie des universitaires) pensent que le développement économique vient de la consommation et non de l’épargne, il suffirait de stimuler sans cesse cette consommation. Quoi de mieux qu’une monnaie qui a une date d’expiration ou qui voit sa valeur diminuer lorsqu’elle reste sur votre compte ?
Grâce à ces taux d’intérêt négatifs généralisés, le gouvernement pourrait mettre fin aux récessions en vous incitant à sans cesse dépenser ! Quasiment la sobriété heureuse.
Parlons de la CBDC chinoise
Tout contrôler, du berceau à la tombe
La Chine est plus que jamais déterminée à développer son yuan numérique. Elle encourage activement sa population à utiliser la CBDC. Le gouvernement chinois essaye même d’amener des pays comme la Thaïlande ou les Émirats arabes unis à utiliser ce système monétaire.
Du point de vue du Parti communiste chinois, il y a des raisons évidentes de désirer une CBDC. Une telle technologie facilite la surveillance universelle de tous les paiements par le gouvernement. Un gouvernement centralisateur bien moins dépendant des sociétés financières et des entreprises technologiques. Le gouvernement a d’ailleurs tenté de les étouffer ces dernières années à travers des salves de mesures réglementaires.
Le yuan numérique parachève le système totalitaire chinois : tout contrôler, du berceau à la tombe.
Le yuan ne menace pas le dollar
Certains pensent que le yuan numérique pourrait sérieusement remettre en question l’hégémonie du dollar. Il est vrai que le yuan numérique facilitera le déclin relatif du dollar, d’un point de vue technologique. Au lieu d’avoir à établir une relation avec une banque chinoise avant de dépenser du yuan, il suffira de télécharger l’application officielle du gouvernement chinois.
Toutefois, la seule technologie du yuan numérique sera insuffisante pour éclipser définitivement le dollar. Pour cela, la Chine devrait surtout mettre fin au contrôle des capitaux afin de rendre possible une internationalisation du yuan. Les règles pour échanger du yuan avec des devises étrangères sont encore trop nombreuses et trop strictes. Les investisseurs craignent également l’application de mesures de répression par surprise. On se rappelle du krach boursier de 2015/2016 qui a provoqué une fuite massive des capitaux. Le gouvernement a alors répliqué en renforçant significativement le contrôle des capitaux.
Les restrictions sur la circulation des capitaux existent parce que le PCC ne souhaite pas que le yuan soit exposé à des appréciations et des dépréciations non désirées. Lorsque les capitaux quittent le territoire, on observe une pression à la baisse sur le yuan et inversement lorsque les capitaux entrent. Le gouvernement chinois n’est pas encore prêt à embrasser autant de libertés économiques. Celui-ci est encore dans la croyance de l’organisation sociale et de la planification. Et il pense aussi qu’une monnaie faible enrichit la population, dans sa vision mercantiliste.
Le yuan numérique a donc essentiellement une ambition interne : contrôler, organiser davantage le matériel humain chinois. L’Amérique peut dormir tranquille, le billet vert n’est pas menacé.
Plutôt des stablecoins privés qu’une CBDC inutile et dangereuse
La CBDC, contrairement à l’argent physique, nécessiterait les services d’un intermédiaire. Il est légitime de se demander si une banque centrale habituée à servir un secteur de gros relativement petit peut posséder la culture nécessaire pour répondre aux demandes des clients à grande échelle au niveau du détail. De même, peut-on raisonnablement attendre d’une agence du secteur public qu’elle suive le rythme des avancées technologiques comme le font les entreprises privées à la recherche de profits ?
Les stablecoins privés, soumis au processus concurrentiel seraient bien plus en mesure d’apporter cette solution innovante. C’est aussi une façon de protéger notre droit à la vie privée et notre droit de propriété (Circle ne lancera pas de stablecoin fondant, on peut dormir tranquille). Lorsque ces institutions sont régulées et qu’elles garantissent une collatéralisation de 1:1, elles peuvent même représenter des alternatives plus séduisantes que certaines banques.
Les monnaies numériques de banques centrales (CBDC) ont finalement peu d’intérêt dans le cadre d’une société libre et bancarisée. Elles se résumeraient à de simples applications de paiement. S’il s’agit d’une tentative d’introduire une monnaie fondante, alors il faudrait commencer à s’inquiéter.
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