Qu'est-ce que le cycle de Benner ?
L’analyse technique et l’histoire économique regorgent d’auteurs et de théories. Certains auteurs sont tombés dans l’oubli mais leurs théories ont perduré. L’un d’entre eux est Samuel Benner. Ce fermier de l’Ohio aux États-Unis a écrit en 1884 un livre prémonitoire, non seulement quant aux observations économiques futures, mais surtout quant aux évènements qu’il a prévus.
« La science des cycles de prix est encore dans le berceau de l’enfance, mais attend son heure pour atteindre le développement complet de sa maturité, pour dérouler ses principes, et déclarer ses oracles à toute l’humanité. »
Benner’s Prophecies (1884), Conclusion, Samuel Benner.
Le principe des cycles de Samuel Benner
« Tant que l’histoire dans le détail ne se répète pas elle-même, le futur ne peut être jugé par le passé, et toutes les prospections humaines en termes de mouvements cycliques sont vaines ; et il n’y a rien de plus sûr et certain pour les hommes à la date et à l’âge présent que les taxes et la mort. »
Benner’s Prophecies (1884), page 43, Samuel Benner.
Samuel Benner était intrigué par la temporalité des prix sur les marchés. Dans les années 1870, il s’intéresse notamment aux prix de la fonte, du porc et du coton pour les États-Unis. La particularité des cycles de Samuel Benner réside dans leur structure. On a usuellement l’habitude d’un cycle régulier, disons de 10 ans, qui entraine une succession de phases de hausse et de baisse de 5 ans chacune.
Ainsi, la singularité de son propos réside dans le schéma de répétition des cycles. Pour le prix de la fonte, il identifie par exemple la succession régulière de 3 cycles entre les plus bas : un premier cycle de 9 ans, un deuxième de 7 ans, puis un troisième de 11 ans. Au total, cela donne un grand cycle de 27 ans (9 + 7 + 11), puis encore un autre grand cycle de 54 ans (27 × 2). Mais nous y reviendrons plus en détail. L’existence de cycles de durées différentes est une approche extrêmement intéressante.
Par conséquent, la durée des phases de hausse ou de baisse varie irrémédiablement. La durée respective des hausses pour chacun des 3 cycles est de 2 ans, 4 ans, et 3 ans. Par suite, les phases de baisse durent respectivement 5 ans, 7 ans, et 6 ans. La structure des hausses est donc 2-4-3 et celle des baisses 5-7-6. Finalement, on observe un schéma de cycles entre les plus bas de 7-11-9 ans.
Ce principe, que nous pourrions nommer de trinité des cycles, est très intéressant et répond à des observations scientifiques. De sorte que chacun des cycles ne peut exister sans son précédent ni son successeur, et qu’au final, un cycle supérieur s’élève au-dessus de tous comme une règle plus constante que ses parties.
Le cycle des paniques financières
« Les cycles dans les paniques et dans les hausses et les baisses des prix des biens agricoles et manufacturés ne sont que les effets d’une cause ; qui se manifeste en périodes de 16, 18 et 20 ans pour les paniques ; qui reviennent dans le même ordre tous les 54 ans, en périodes de 8, 9 et 10 ans dans le prix de la fonte ; qui reviennent dans le même ordre tous les 27 ans, avec des baisses de 5 et 6 ans dans le prix du maïs et du proc […]. »
Benner’s Prophecies (1884), page 111, Samuel Benner.
En outre, la vision des cycles de Samuel Benner s’applique aussi aux crises financières. Pour lui, les paniques répondent en grands cycles de 54 ans. La répétition des paniques se fait par une succession de cycles de 18 ans, 20 ans, et 16 ans. Soit 18 ans en moyenne.
De plus, nous projetons le cycle des paniques de Benner, nous obtenons les dates du cycle. Par conséquent, le cycle mineur réagit selon une périodicité de 8-7-8 par rapport au moment où le sommet du cycle majeur prend effet. Ainsi, nous pouvons en conclure le schéma suivant. Néanmoins, si la fiabilité de ce schéma semble renforcée dans la période récente, il peut manquer de cohérence pour les paniques du XXe siècle.
Cycle majeur des paniques | Cycle mineur des paniques |
1837 | |
1845 | |
1857 | |
1864 | |
1873 | |
1881 | |
1891 | |
1899 | |
1911 | |
1908 | |
1927 | |
1935 | |
1945 | |
1953 | |
1965 | |
1972 | |
1981 | |
1989 | |
1999 | |
2007 | |
2019 | |
2026 | |
2035 | |
2043 | |
2053 |
De plus, on pourrait ainsi envisager un calcul à partir de la bulle de 2000 par exemple. En effet, dans le cas d’une projection en revenant vers le passé, on obtient en dates majeures : 1982, 1966, 1946, 1928, 1912, 1894… Ainsi, cela correspond en effet à la plupart des extrêmes du marché (Dow Jones). Mais les possibilités d’application sont variées. Par ailleurs, une application sinusoïdale serait mieux adaptée.
Les autres cycles
Par suite, les cycles de Benner sont applicables à une série de données dès lors qu’elles présentent des régularités. Il est effectivement intéressant de remarquer une cohérence à long terme. Par exemple, l’étude du prix du porc aux États-Unis révèle pour Samuel Benner un cycle de 11 ans. Aussi, ce dernier alternerait avec des phases de hausse en 5-6 ans, et des phases de baisse en 6-5 ans.
Dans tous les cas, l’approche de Samuel Benner fut prémonitoire en ce qui concerne le cycle de 54 ans. Ce dernier s’observe empiriquement sur les données des prix, de la croissance, du taux et d’autres depuis 1800 jusqu’à nos jours. Bien qu’il soit également soumis à la variabilité (d’où un éventuel schéma de variabilité à la Benner), ce cycle est bel et bien observé dans la réalité mondiale. En outre, l’économiste russe Nikolaï Kondratiev en avait l’ouvrage de sa vie. Ainsi, près d’un siècle après Samuel Benner, un économiste du nom de Brian Berry écrivait justement à propos du cycle long les mots suivants.
« Soyez d’accord avec cela ou pas, nos vies apparaissent être inclues dans un ordre supérieur de complexité : collectivement, nous sommes un organisme social qui montre des fluctuations autorégulatrices autour d’une direction de croissance, un équilibre dynamique. Les cycles longs devraient être considérés parmi ces fluctuations, ces processus par lesquels des innovations sont introduites, diffusées, saturées, surpassées, et finalement complétées. »
Long-Wave Rhythms in Economic Development and Political Behavior (1991), Brian Berry.
Les prévisions pour l’avenir
Enfin, le grand succès de Samuel benner fut d’anticiper de manière plus ou moins évidente la panique de 1890/1891. Effectivement, la crise bancaire de 1891 a provoqué la 17e plus grande baisse du marché des actions aux États-Unis. Cette panique se diffuse à partir de Londres dans la banque Barings et provoque un lourd effet domino dans certains pays comme l’Argentine. La prochaine grande panique sur le marché américain a pris effet en 1907, soit 16 ans après 1891. Par ailleurs, cette panique a notamment impulsé la création de la banque centrale américaine. En théorie, la prochaine crise devait se produire autour de 1925, ou bien 1927 dans un autre cas. Mais il faudra attendre 1928/1929.
Bien qu’il soit clair que le cycle de 54 ans reste toujours effectif à l’heure actuelle, la temporalité du cycle de Benner ne fut pas entièrement pertinente sur la moitié du XXe siècle. Ainsi, 22 ans séparent la crise de 1929 de la panique de 1907. Plus tard encore, 17 ans séparent la crise de 1929 de la chute de 1946. Et 20 ans encore séparent 1946 du sommet majeur de 1966. Puis 21 ans séparent le sommet de 1966 avec la panique de 1987. En outre, à nouveau 21 ans séparent la panique de 1987 de la panique de 2008. Il peut donc exister une variabilité dans cette course aux paniques. Ces dernières semblent être espacées par 20 ans en moyenne sur le XXe siècle plutôt que par les 18 ans suggérés par Samuel Benner.
Fiable pour l’avenir ?
Dans cette logique, deux conclusions émergent.
- On peut espérer qu’une nouvelle panique émerge 21 ans après 2008. Soit autour de 2029.
- Ou bien, on peut espérer qu’une nouvelle panique émerge, comme le suggère la temporalité du XIXe siècle, autour de 2035. Un risque intermédiaire serait 2026.
Dans tous les cas, cela reviendrait à refondre totalement l’approche de Samuel Benner sur la temporalité des cycles. Ce qui n’est pas notre intention ici. On retiendra une étude détaillée de la complexité de ces régularités ultérieurement. Dans le cas où les paniques viendraient à se produire tous les 21 à 22 ans, il convient de noter que deux cycles de 54 ans « suffisent » à lier cette temporalité avec celle observée par Samuel Benner (2 × 54 = 108 = 21,6 × 5 ou 6 × 18).
Quelle pertinence sur les marchés ?
Nous avons étudié dans nos précédentes publications la cyclicité de nombreux marchés. Ainsi, le marché des cryptomonnaies montrait par exemple une grande cyclicité et une très faible variabilité de ses cycles. Dans un tel cas, l’application de la méthode de Samuel Benner peut paraître moins pertinente. En effet, nous avons notamment établi le tableau suivant qui résume les grands cycles du bitcoin (BTC).
Cycle N° | Creux | Sommet | Durée creux à creux | Performance creux à sommet |
1 | Novembre 2011* | Décembre 2013 | — | +968 % |
2 | Janvier 2015 | Décembre 2017 | 3,1 ans | +8 328 % |
3 | Décembre 2018 | Novembre 2021 | 3,9 ans | +1 961 % |
4 | Novembre 2022 ? | — | 3,9 ans | — |
MOYENNE | Novembre | Décembre | 3,6 ans | +3 752 % |
On remarque qu’un cycle originel de 3,1 ans a été compensé par des cycles plus longs de 4 ans. À ce stade, on ne peut pas dire si cela correspond à un schéma de Benner. En effet, il se pourrait que le bitcoin (BTC) alterne entre des cycles de 3 ans puis de 4 ans. Quant à ses phases de hausse ou de baisse, elles durent en général 1 an. Les phases de hausses seraient donc moins cycliques et plus complexes.
Enfin, la réponse au mystère des cycles de Samuel Benner est peut-être à chercher du côté des vagues d’Elliott. Ces dernières combinent un ensembles de vagues de prix, qui en forment elles-mêmes une plus grande. L’addition de la variabilité des cycles comme donnée effective, et non plus seulement anormale, est d’une grande pertinence.
En conclusion
En définitive, les cycles de Samuel Benner sont à la fois prémonitoires par leur cohérence historique, et singuliers par les schémas qu’ils supposent. Effectivement, Samuel Benner se base sur une logique de régularité avec des périodes cycliques différentes, mais qui finalement, forment un grand cycle plus régulier. En particulier, il identifie un cycle de long terme de 54 ans qui annonce avant l’heure de nombreux travaux économiques. Sa méthode mérite ainsi d’être largement diffusée et réinventée grâce aux dynamiques qu’elle soulève.
De fait, les cycles de Samuel Benner répondent à un principe de « trinité », c’est-à-dire que les cycles ont des périodes différentes et succèdent régulièrement les uns aux autres. L’observation de Samuel Benner revient aussi à écrire qu’un cycle plus court est généralement suivi par un cycle plus long, de sorte qu’en moyenne, la régularité soit absolue. Cela répond exactement aux observations faites par l’économiste britannique Joseph Kitchin en 1923 (lire plus).
Maximisez votre expérience Cointribune avec notre programme 'Read to Earn' ! Pour chaque article que vous lisez, gagnez des points et accédez à des récompenses exclusives. Inscrivez-vous dès maintenant et commencez à cumuler des avantages.
Auteur de plusieurs livres, rédacteur économique et financier sur plusieurs sites, je noue depuis de nombreuses années une véritable passion pour l'analyse et l'étude des marchés et de l'économie.
Les propos et opinions exprimés dans cet article n'engagent que leur auteur, et ne doivent pas être considérés comme des conseils en investissement. Effectuez vos propres recherches avant toute décision d'investissement.