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Preuve d’enjeu et art contemporain, mêmes dérives du capitalisme financier

dim 19 Mar 2023 ▪ 9 min de lecture ▪ par Ralph R.
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Toute création de valeur nécessite une transformation de travail et d’énergie au préalable. À titre d’instrument d’échange de valeur, la monnaie devrait par exemple être le résultat d’un travail déjà effectué. L’exploitation aurifère ou la preuve de travail du bitcoin en sont de parfaites illustrations. Cependant, la création de valeur peut représenter le résultat d’un travail futur, à l’image de l’argent dette et des monnaies fiat. C’est notamment le cas d’actifs numériques de valeur comme Ethereum, créés via la preuve d’enjeu. Et c’est notamment le cas de certaines œuvres d’art contemporain, véritables objets spéculatifs créés sans apport de travail. Tentons de faire une périlleuse comparaison entre la preuve d’enjeu et l’art contemporain, tous deux au service du capitalisme financier.

L’art contemporain, ou l’art de créer de la valeur sans travail

L’art contemporain a été créé à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et plus précisément vers les années 1960. Il a succédé à l’art moderne créé en 1850. La culture a toujours représenté l’expression de la puissance politique d’un pays. Les États-Unis – et plus particulièrement la CIA – l’ont bien compris. Afin d’asseoir leur identité à l’issue de la seconde guerre mondiale, ils vont s’emparer de toutes les formes de culture. La CIA va notamment exploiter les beaux-arts pour détourner l’avant-garde européenne du courant communiste. Désireuse de représenter un mouvement occidental et moderniste, la CIA va encourager toute forme d’art faisant place à l’abstraction au détriment du contenu social des œuvres. De fait, le financement de cette nouvelle forme d’art va attirer les artistes européens. Il va les inciter à abandonner leur enracinement idéologique, pour produire en abondance des œuvres dépouillées de toute substance concrète.

L’art contemporain est donc très controversé et revêt toutes les caractéristiques d’un art de marché et de la libre entreprise. Il réalise en cela le rêve de tout capitaliste : émettre de la valeur en éliminant toute notion de travail. Les œuvres rentrent dans des fonds spéculatifs, et augmentent leur valeur sans créer de véritable richesse. L’art contemporain ne suit pas l’évolution de l’art, et représente donc une véritable rupture idéologique et politique avec l’art classique.

L’art contemporain, ou l’art de créer plus de riches

Outre le fait d’être un art du capital, l’art contemporain est un art au service de l’État. Pour que le marché de l’art contemporain soit effectif, les œuvres doivent également être créées en abondance. Par opposition à l’art classique, où les œuvres ne sont pas en nombre suffisant pour qu’un marché existe. Ce marché de l’art contemporain est composé de riches collectionneurs et d’institutions publiques qui garantissent la valeur des œuvres. Ce qui en fait un marché hautement spéculatif. De fait, l’art contemporain est manipulé par un petit groupe de privilégiés, qui dictent en permanence les tendances du marché.

La preuve d’enjeu, ou l’art de créer de la valeur sans travail

Tout comme l’art contemporain avec l’art classique, la preuve d’enjeu constitue une rupture idéologique avec la preuve de travail. Et donc une rupture fondamentale avec la philosophie de décentralisation que le protocole du bitcoin incarne depuis sa création. Et tout comme l’art contemporain, la preuve d’enjeu a un objectif : émettre de la valeur numérique, en éliminant toute notion de transformation d’énergie. Donc en éliminant également tout concept de travail. Sous prétexte de transitionner vers un système moins coûteux en énergie, la preuve d’enjeu reproduit le système existant d’émission des monnaies fiat. L’émission de jetons n’est pas ancrée dans le monde réel, et constitue la seule ressource extérieure de la preuve d’enjeu. En opposition à la preuve de travail, dont la dépense énergétique physique représente la principale ressource extérieure. Les deux premières analogies entre preuve d’enjeu et art contemporain mettent en lumière une absence de travail et de rareté.

La preuve d’enjeu, ou l’art de créer plus de riches

La troisième analogie entre la preuve d’enjeu et l’art contemporain concerne les acteurs. Pour rappel, la preuve d’enjeu est un mode de consensus qui impose à tout validateur de posséder des jetons. Elle lui impose donc de détenir de la richesse, ou de s’en procurer auprès d’autres validateurs avec leurs permissions. La récompense prévue dans le protocole et issue de l’ajout d’un bloc est strictement proportionnelle à l’engagement financier du validateur. L’attribution des récompenses en jetons supplémentaires incite donc à l’accumulation, contrairement à la redistribution des jetons par preuve de travail. Elle tend donc à rendre les riches encore plus riches.

Par ailleurs, la délégation des jetons des validateurs auprès d’entités centralisées comme Lido, Binance ou Rocket Pool renforce leur centralisation. Ces plateformes peuvent être attaquées et corrompues plus facilement. Il en résulte naturellement un risque de concentration irréversible et difficile à détecter en termes de localisation géographique. En effet, les plus riches détenteurs contrôlent ainsi le réseau, en proportion de leurs richesses. Ce qui diffère de la preuve de travail, qui distingue gouvernance du réseau et détention de cryptomonnaies sans permission. Le risque de cartélisation induit par la preuve d’enjeu équivaut donc à celui de contrôle et de censure du protocole. Sa neutralité sur le long terme est donc menacée. On reconnait dans la preuve d’enjeu l’idée de ploutocratie présente dans l’art contemporain, à savoir la gouvernance par les riches. Modèle que le mode de consensus initial de preuve de travail du réseau Bitcoin veut remplacer à la base.

L’art contemporain et Ethereum, amis respectifs des institutions publiques et des organisations mondialistes

Le projet Ethereum est un exemple parfait de la déviance potentielle de son mode de consensus. D’une part, sa politique monétaire a fluctué plusieurs fois, sous l’impulsion de quelques décideurs à la tête du projet. D’autre part, les gouvernements, institutions financières et organisations mondiales de lobbying semblent témoigner d’une certaine mansuétude à l’égard du projet. Ce dont le bitcoin est privé, eu égard à sa dépense d’énergie souvent décriée. C’est la quatrième analogie entre la preuve d’enjeu et l’art contemporain. Tout comme les institutions publiques de la culture soutiennent l’art contemporain, les autorités centrales appuient les projets à preuve d’enjeu. En opposition à la neutralité du Bitcoin, Ethereum est plus facile à contrôler de par son mode de consensus. En témoigne Aya Miyaguchi, à la fois directrice exécutive de la fondation Ethereum et contributrice au Forum économique mondial.

Klaus Schwab, Founder and Executive Chairman of the World Economic Forum, speaks during the World Economic Forum 2014 Summer Davos in Tianjin, China, 10 September 2014. The World Economic Forum 2014 Summer Davos opened on Wednesday (10 September 2014) in the northern Chinese municipality of Tianjin and will run through Friday. About 1,600 guests from over 90 countries or regions are expected to attend 140 meetings for sub-forums.

Conclusion

Quatre analogies rapprochent preuve d’enjeu et art contemporain. L’élimination de toute forme de travail est frappante dans la création de valeur. Une absence de rareté dans la valeur vise à pérenniser un marché spéculatif. Une concentration de riches manipulent cette création de valeur. Enfin, le soutien des gouvernements, institutions financières et organisations mondiales vise à garantir cette valeur créée. Le but n’est pas de décrier toutes les œuvres contemporaines. Mais de mettre en exergue la visée initiale de cet art du capital. Ce n’est pas une surprise si le marché spéculatif des NFT artistiques attire de nombreux néo-investisseurs. Il est même question de générer des collections entières de NFT artistiques via l’IA, éliminant toute rareté numérique. Les artisans et artistes de la main, malmenés par le courant de l’art contemporain, doivent se réinventer. Tout comme la preuve de travail, qui doit démontrer en permanence la pertinence de sa dépense d’énergie.

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Ralph R.

Consultant international en gestion de projet. Ingénieur de formation, avec une maîtrise en administration des affaires (M.B.A.) et affaires internationales d’HEC Montréal. Passionné de technologie et de cryptomonnaies depuis 2016.

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