Play-to-earn : ne soyez pas des pigeons, c'est surtout un Ponzi
Heureux l’homme de 2022 qui a connu le move-to-earn et le play-to-earn, car il deviendra riche en préservant sa santé. Il aura fallu attendre des milliers d’années avant d’avoir une technologie cryptographique avancée qui permet à l’humanité de subvenir à ses besoins tout simplement en marchant. Mieux que le revenu universel : StepN. La Ponzinomics vient-elle de contaminer le gaming ?
NFT : de l’art au gaming
Même si je ne joue plus vraiment aux jeux vidéo depuis plusieurs années, je garde de nombreux souvenirs positifs de ces parties à capturer des Pokémons, à améliorer mon armée dans Clash Royal, et à tuer des adversaires sur Fortnite ou Call of Duty.
J’ai très vite remarqué une nette différence entre les jeux consoles, qui n’exigeaient souvent que l’achat d’une licence, et les jeux mobiles. Tout aussi addictifs, les seconds créaient chez moi un tel sentiment d’urgence que je pouvais plus facilement entrer ma carte bancaire.
Depuis quelques mois maintenant, une nouvelle tendance a émergé au sein des sphères crypto : le play to earn.
Play to earn, quésako ?
Le play to earn serait un nouveau modèle économique dans l’industrie du gaming. Il s’agit de permettre aux joueurs de gagner des objets dans le jeu qui prennent la forme de NFT au sein de ces mondes virtuels qu’on appelle métaverses. Ces NFT peuvent dans un second temps être transformés en monnaie fiat et assurer un revenu aux joueurs dans le monde réel.
Des éditeurs de l’industrie du jeu vidéo comme Square Enix se lancent dans le play to earn et des millions commencent à être investis.
De manière pratique, un joueur doit acheter un NFT pour accéder au jeu. Puis, tout au long de son aventure, le joueur gagne des objets numériques qui sont des NFT. Progressivement, chaque joueur accumule des NFT qui représentent ses succès dans le jeu. Ces NFT peuvent ensuite être réinvestis dans le jeu ou tout simplement échangés contre de l’argent.
Nouvelle économie ou crash en vue ?
A ce stade, on peut imaginer deux scénarios en ce qui concerne le futur du play to earn. Le premier est plutôt optimiste. Il s’agirait d’une intégration de la crypto au sein d’une industrie titanesque, qui permettrait à des millions de joueurs de gagner leur vie en exerçant leur passion du gaming. Et puisque chaque joueur accumule des NFT, il peut facilement les exploiter dans un autre jeu ou les vendre contre du cash.
Quand on connaît le potentiel addictif des jeux et le niveau d’énergie que l’on peut y mettre, ce serait incroyable de pouvoir recycler tous nos succès dans un autre jeu à la mode.
A l’inverse, on peut aussi imaginer un scénario plus pessimiste. Le play to earn serait un énième Ponzi. Les NFT que les joueurs gagnent n’ont fondamentalement aucune valeur. Le seul moyen pour les joueurs d’avoir un revenu serait de vendre ces nouveaux objets numériques à de nouveaux joueurs qui ont entendu parler des NFT sur Twitter ou Reddit. Dans ce cas, il conviendrait de vendre rapidement ces objets avant que la demande ne diminue et que l’illusion de nouveauté ne se dissipe.
Alors, quelle est la réalité ? Révolution ou énième Ponzi dont la crypto nous a habitué depuis plusieurs années ?
De nouveaux métiers sur Axie Infinity
Il faut absolument distinguer deux types de projets qui intègrent le modèle économique du play to earn.
Dans Axie Infinity, les joueurs combattent des animaux de compagnie numériques. On doit acheter des Axies à d’autres joueurs. On gagne des Smooth Love Potion (SLP) lorsque l’on remporte des batailles. Il est possible de réinvestir ces tokens pour élever de nouveaux Axies ou de tout simplement les échanger contre des cryptos.
Actuellement, les gens jouent à Axie Infinity pour gagner de l’argent. Que ce soit à travers l’acquisition d’Axies pour les prêter contre un revenu, ou l’accumulation des tokens SLP. La plateforme a permis à des milliers d’utilisateurs quotidiens de gagner leur vie, y compris dans des pays pauvres.
Toutefois, force est de constater que l’on observe une chute impressionnante du nombre de joueurs sur Axie. Le token s’est aussi effondré depuis le début de l’année.
Play to earn : le plaisir avant l’argent ?
On touche là le problème fondamental du modèle du play to earn. Lorsque l’argent devient l’unique but du jeu et l’argent cesse d’arriver, les utilisateurs désertent alors de la plateforme.
Lorsque vous jouez à Clash of Clans, vous cherchez d’abord à lutter contre l’ennui et à prendre du plaisir avec vos amis. Puis, vous arrivez à un stade où vous sortez la carte bancaire pour aller plus vite et les impressionner davantage.
Sur Axie, l’argent arrive avant le plaisir. Ce n’est pas un modèle viable, surtout en bear market. Et après que la demande se soit effondrée, que les joueurs aient intégré la désuétude du jeu, reviendront-ils plus tard ?
Peu probable. Endgame.
Du play to earn au move to earn ?
Si vous suivez l’actu crypto, vous avez sûrement entendu parler de StepN, le dernier jeu à la mode censé vous rapporter de l’argent en faisant un effort physique.
Haha.
En quelques semaines, la plateforme a réussi à attirer plus de 3 millions de joueurs actifs. Et du play to earn, nous sommes passés au move to earn. (Il y a d’excellents marketeurs dans le web3).
En 2022, il suffirait d’acheter des baskets virtuelles sous forme de NFT pour commencer à gagner des GST, le token de StepN, simplement en marchant dans la rue.
Le modèle ressemble beaucoup à celui d’Axie : il est possible de revendre ces tokens contre d’autres cryptos, d’acquérir de nouvelles baskets ou tout simplement de louer ses baskets à d’autres joueurs. Au lieu de vous battre contre des animaux de compagnie virtuels, il faut se bouger et sortir dehors pour s’enrichir.
Le Pokéwalker était plus amusant que Stepn
Les fondateurs du projet n’ont rien inventé. Ils ont juste surfé sur la vague des NFT pour remettre au goût du jour le vieux concept du podomètre. Déjà, en 2010, je me souviens de ce petit boîtier blanc et rouge vendu avec Pokémon Or HeartGold et Argent SoulSilver. Le Pokéwalker comptait le nombre de pas des joueurs, avant de convertir cet effort en « watts » qui était la monnaie du podomètre. Tous les 20 pas, on gagnait un watt. Des « watts », nous sommes passés aux GST.
A l’époque, quel était l’intérêt de posséder des watts ? La possibilité de transformer cet actif en objets tangibles dans le jeu. Un jeu qui était plaisant et c’est là toute la différence.
Pokémon apportait d’abord du plaisir aux gens et le Pokéwalker sublimait ce plaisir. A l’inverse, les joueurs de StepN sont d’abord des investisseurs qui cherchent à générer du profit, et abandonneront la plateforme à la minute où celle-ci cessera d’être rentable.
Sauf si, bien sûr, le ministère de la Santé décide de subventionner de genre d’applications pour lutter contre l’obésité.
Comment faire durer un Ponzi ?
Pour faire durer un schéma de Ponzi, il est nécessaire de susciter une nouvelle demande artificielle. Il faut maintenir l’illusion de prospérité autant que possible, et éviter que l’effondrement de la confiance n’écroule le château de cartes.
« Les joueurs peuvent gagner de beaux revenus en marchant, en faisant du jogging ».
Les fondateurs de StepN sont au moins aussi intelligents que le légendaire Do Kwon – qui mérite toute notre admiration pour avoir dépassé le maître Madoff et ses maigres rendements de 10 % -.
Des ruses pour faire durer le tour
Ils ont très tôt pris des mesures pour faire durer le tour de magie. Cela passait notamment par une réduction de l’offre de tokens, en donnant aux joueurs davantage de possibilités pour réinvestir leurs GST (améliorer les baskets entres autres). D’autre part, ils ont compris qu’il était nécessaire d’augmenter la demande pour le token, en limitant par exemple l’arrivée de nouveaux joueurs grâce à des codes d’activation.
Comme avec l’UST, les joueurs peuvent encaisser leurs gains mais ne sont pas incités à transformer leurs actifs numériques contre des vrais dollars. Ils sont incités à garder un pactole virtuel en le réinvestissant dans le système.
Ah oui, le prix du token s’est effondré entre temps, le nombre d’utilisateurs a été divisé par plus de 2 par rapport au record de Mai 2022, et les équipes de Stepn doivent dépenser des sommes colossales pour lutter contre la triche.
Lorsqu’il y a une opportunité de s’enrichir rapidement, des mécanismes d’arbitrages se forment et les utilisateurs développent des outils pour tirer un profit. Comme des applications qui simulent des mouvements.
Les fondateurs du projet disaient espérer « attirer des millions de coureurs qui ne sont pas issus de la crypto, dans le monde de la crypto ». Ils auront surtout pris leur argent ; argent qui servira peut-être à bâtir un nouveau Ponzi sur Cardano ou Solana d’ici quelques semaines. Et dire que des fonds aussi réputés que Sequoia ont investi des millions dans le projet…
D’aucuns penseront que le terme de Ponzi est excessif et seront étonnés de lire une telle diatribe sur un média crypto. Pourtant, je ne fais que reprendre la définition du gouvernement américain qui définit un Ponzi comme une « fraude à l’investissement qui paie les investisseurs existants avec des fonds collectés auprès de nouveaux investisseurs ».
Play to earn et effet Streidand
Là où le génialissime Do Kwon refusait systématiquement le qualificatif de « Ponzi » pour son UST, les équipes de StepN ont choisi une toute autre stratégie. Ils ont compris l’effet Streidand qui est ce phénomène médiatique amplifiant la diffusion d’une information. Information que l’on cherchait justement à étouffer.
Il y a quelques semaines, ils admettaient sur le blog du projet que si le modèle de StepN était proche du Ponzi, ils mettaient tout en œuvre pour pérenniser le modèle économique grâce à la sainte « tokenomics ».
Sans nouvelles incitations, sans argent neuf des VCs (ou du ministère de la santé), il sera impossible de maintenir le rendement promis. Et puisque StepN est d’abord une plateforme d’investissement avant d’être un jeu procurant du plaisir, les utilisateurs partiront.
Comment identifier le prochain Ponzi ?
Un peu d’histoire. Durant les folles années 20, bien avant Do Kwon, Charles Ponzi concevait un schéma pyramidal où il « garantissait » aux investisseurs un rendement de 50 %, s’ils plaçaient leurs revenus dans des coupons postaux internationaux. Charles Ponzi utilisait alors l’argent des nouveaux investisseurs pour rémunérer les investisseurs précédents.
Rien n’a changé en un siècle. Les hommes n’apprennent pas de leur erreurs. Le système se débarrasse plutôt des gens qui commettent systématiquement les mêmes erreurs jusqu’à ce qu’ils soient ruinés. Autrement dit, les systèmes financiers se débarrassent des pigeons.
Ne soyez pas des pigeons
Bref, dès lors qu’on vous promet des rendements conséquents avec peu de risques, il s’agit très probablement d’un Ponzi. A fortiori dans la crypto. Les fondateurs utiliseront probablement votre argent pour rémunérer les premiers croyants (et en détourneront une partie pour leurs propres intérêts). Ils chercheront aussi à ce que vous gardiez votre argent sur le protocole. Ils créeront tout un tas de stratagèmes exotiques pour éviter que vous échangiez des Ponzi-tokens contre des vrais dollars américains.
Il est absolument impossible d’augmenter le potentiel de gain de tout le monde sans provoquer une inflation massive du token de récompense qui finira alors par s’effondrer. La seule source de rendement durable est le flux généré au-delà de la dépréciation d’un stock d’actifs économiquement productifs.
N’apportez pas cet argent frais qui permettra à ces projets de survivre. Ne soyez pas des pigeons.
Y’a-t-il un Jeff Bezos dans le web3 ?
Jeff Bezos n’est pas Do Kwon.
Si Amazon est l’une des entreprises les plus puissantes du monde, c’est parce Bezos a cherché à construire l’entreprise la plus centrée sur le client de tous les temps. Bezos était un missionnaire et non pas un mercenaire qui cherchait à faire un maximum d’argent. Il ne pensait qu’à satisfaire ses clients. Bezos était à leur service depuis le premier jour et n’avait pas pour ambition de leur détourner leurs revenus avec des rendements illusoires. Il était obsédé par le bien-être de ses clients sur Amazon.
Pour créer un jeu vidéo remarquable, il faut penser aux joueurs et leur apporter du plaisir. C’est le seul moyen de construire une demande solide et pérenne. Si vous changez la vie des gens, alors ils seront heureux de payer. A l’inverse, il est extrêmement difficile de créer un jeu qui soit à la fois amusant et qui vous aide à gagner de l’argent.
Play to feel emotions
Les utilisateurs ne doivent pas jouer à un jeu dans l’unique espoir que leur token prennent de la valeur. Les tokens doivent amplifier la boucle d’amusement de base et élargir les possibilités offertes aux utilisateurs. Les tokens parachèvent un jeu déjà remarquable.
Le seul modèle viable qui ne soit pas un Ponzi : jouer pour s’amuser et gagner des tokens utiles qui augmenteront mon plaisir dans le jeu. L’introduction des éléments de gains vient parachever des fondations vraiment amusantes.
C’est le play to feel emotions.
A l’heure actuelle, le play to earn est surtout constitué d’énormes Ponzi qui s’effondreront lorsqu’il n’y aura plus assez d’argent frais pour alimenter la machine. Le web3 a fondamentalement besoin d’entrepreneurs-missionnaires qui veulent d’abord changer positivement la vie des gens, à l’instar de Satoshi et des cypherpunks. Construire des jeux qui apportent du plaisir aux gens, plutôt que des rendements illusoires.
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Les propos et opinions exprimés dans cet article n'engagent que leur auteur, et ne doivent pas être considérés comme des conseils en investissement. Effectuez vos propres recherches avant toute décision d'investissement.