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Les économistes "autrichiens" freinent l'adoption du bitcoin

dim 21 Avr 2024 ▪ 10 min de lecture ▪ par Nicolas T.
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En essayant de s’approprier le bitcoin pour servir leurs théories, les économistes autrichiens desservent la cause.

Bitcoin

Théorie dépassée

Isaac Newton s’est trompé sur l’origine de la gravité. Il pensait qu’il s’agissait d’une sorte de force d’attraction universelle faisant simplement partie du fonctionnement de l’univers.

Sa loi de la gravitation universelle suppose qu’il existe une « action à distance » entre tous les objets de l’univers. Une force dont l’intensité se dissipe au fur et à mesure que l’on s’éloigne.

[Pour être totalement sincère, Isaac ne pensait pas avoir achevé une théorie de la gravité (ironiquement utilisée aujourd’hui comme l’exemple d’une théorie complète et bien construite), d’où sa célèbre citation : « hypothesis non fingo ».]

Son explication mathématique de la gravité fonctionne très bien. On peut en dériver les lois de Kepler qui décrivent le mouvement des planètes autour du soleil. Les prédictions des lois newtoniennes sont suffisamment bonnes, et le sont toujours pour les manuels scolaires des lycées.

Mais certaines choses ne pouvaient pas être expliquées par les équations de Newton. Notamment le mouvement de Mercure, le plus proche compagnon du soleil.

Plus tard, Albert Einstein expliqua que la gravité est causée par la déformation de l’espace-temps autour des objets massifs. Nous sommes en quelque sorte poussés vers la Terre par la courbure de l’espace-temps, et non pas tirés vers le bas, comme avançait Newton.

Cette introduction particulière vise à rappeler que rien n’est gravé dans le marbre. Les théories évoluent. Il serait fou de penser que la science des années 1950 puisse être meilleure que celle d’aujourd’hui.

Il en va de même pour la science économique. Dépoussiérer les vieilles théories d’obscures auteurs de la pensée autrichienne n’est pas une bonne idée.

Slay your heros

Il est dans la nature humaine d’avoir des héros auxquels on aspire à ressembler. Ce fut longtemps Newton chez les physiciens. Sa théorie de la gravitation universelle a tout décrit sans faille, depuis le mouvement des comètes, des planètes et des lunes jusqu’à la façon dont les objets tombent sur Terre. Et puis Einstein remit tout en cause.

Nous sommes tous attachés à notre conception de la réalité qui est souvent inextricablement liée à l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes. Les bitcoiners de la première heure sont des individus viscéralement souverains. Il était donc naturel qu’ils soient réceptifs à une pensée économique fondée sur l’individualisme et le rejet de l’intervention de l’état.

Leurs héros sont Carl Menger, Ludwig von Mises ou encore Friedrich Hayek. Beaucoup ont découvert la « science » économique avec Saifedean Ammous et son livre « The Bitcoin Standard ». Nous pouvons y lire au chapitre 14 une phrase clé qui résume bien l’impasse dans laquelle les économistes autrichiens se sont fourrés :

« J’anticipe que les seules banques qui survivront seront celles 100 % adossées au Bitcoin ».

Dit autrement, Saifedean Ammous pense qu’une économie fonctionne mieux si la masse monétaire est absolument fixe. Une pensée toujours d’actualité :

« Non, la masse monétaire n’a pas besoin d’augmenter. Non, la déflation n’est pas une mauvaise chose. »

Cette affirmation provient à l’origine de l’économiste autrichien Ludwig von Mises qui écrivait en 1949 dans son livre Human action :

« La quantité de monnaie disponible dans l’ensemble de l’économie est toujours suffisante. »

On imagine facilement pourquoi la pensée autrichienne puisse séduire les bitcoiners. Tenir pour vraies les idées de Ludwig von Mises signifie caresser l’espoir que le bitcoin remplace totalement la monnaie fiat (qui serait intrinsèquement un cancer).

Mais est-ce bien raisonnable ?

Don’t trust, verify

Un scientifique est un renégat prêt à tout passer au crible de la méthode scientifique. Une seule observation entrant en conflit avec les prédictions d’une théorie oblige à rejeter l’idée que l’on s’était fait de la réalité.

C’est une chimère de croire qu’une économie fonctionnerait mieux avec une masse monétaire fixe. En cause : l’usure (les prêts à intérêts) qui fut longtemps interdite à cause de la trajectoire exponentielle des intérêts composés.

La première trace de l’usure remonte à Babylone, vers 1750 avant JC. Le Code d’Hammourabi interdisait de prêter de l’argent à plus de 20 %. Nous savions déjà il y a 3 770 ans que les intérêts étaient quelque chose de « dangereux » qu’il fallait limiter par la loi.

L’usure était également punie par les Romains ainsi que l’Église catholique. Il faudra attendre 1917 pour que le Vatican lève l’anathème dans le droit canon.

Pourquoi ? Parce que la révolution industrielle et les combustibles fossiles ont déclenché une augmentation exponentielle de la productivité. Dit autrement, notre capacité à générer de la croissance économique est devenue compatible avec l’engrenage infernal des intérêts.

Il devint possible à chacun d’emprunter pour devenir propriétaire de sa maison. Et qui dit prêt dit intérêts. Emprunter 100 000 euros au taux de 5 % pendant 25 ans implique de rembourser 175 000 euros. Nous aurions rapidement de gros problèmes comptables si la masse monétaire était fixe. Les défauts de paiement seraient récurrents et l’économie apathique.

Voilà pourquoi les banquiers augmentent sans trêve la quantité de crédits. Il s’agit de s’assurer que chaque génération puisse trouver dans le magma de l’économie suffisamment d’argent pour rembourser le capital ET les intérêts.

Abondance = Productivité

Oui, le système fiat est un ponzi qui requiert une croissance et des gains de productivité (quantité de choses produites par personne) perpétuels.

Productivité = Machines = Énergie

Si vous manquez d’énergie, la fête est finie. La productivité diminue, empêchant en retour les salaires de suivre l’inflation inhérente au ponzi fiat.

Le graphique suivant donne un indice quant à savoir pourquoi les salaires n’arrivent plus à suivre depuis les années 1970, fin des fameuses trente glorieuses.

Le taux annuel moyen de croissance de la production de pétrole est passé de 7.3 % (trajectoire rouge) à 1.3 % (trajectoire jaune). Le prix du baril s’est envolé de 3 $ en 1971 à 85 $ aujourd’hui…

« Nous sommes passés d’une croissance exponentielle de la production de pétrole à une croissance linéaire. Bientôt, le pic… »

Malheureusement, le taux de croissance de notre production de pétrole est désormais proche de 0 %. Or, 95 % du transport a besoin de pétrole, si bien qu’une décrue de sa production se solderait par moins d’échanges et donc moins de croissance.

Le pic pétrolier s’approche à grands pas et cette limite physique à la croissance nous promet une inflation aussi douloureuse que persistante.

Tout cela pour dire qu’il ne faut pas se laisser envouter par les sirènes des économistes autrichiens. La prospérité n’est pas un tour de passe-passe monétaire. L’abondance vient de l’énergie, pas des miracles fantasmés d’une masse monétaire absolument fixe.

Le système fiat est le pire des systèmes monétaires, à l’exception de tous les autres, comme dirait Winston Churchill à propos de la démocratie. Si l’Histoire nous enseigne quelque chose, c’est que l’humanité embrasse toujours les systèmes les plus efficients. Le système fiat ne fait probablement pas exception.

N’exigeons pas monts et merveilles du bitcoin. La blockchain ne contient pas de pétrole, ni de lithium, de cuivre, etc…

Comme dit Michael Saylor, le bitcoin « n’a pas besoin de remplacer le système fiat pour réussir », et « personne ne peut arrêter l’inflation ».

Le bitcoin est une réserve de valeur

Et non pas le nouveau Mastercard ou la nouvelle JP Morgan. Le Bitcoin n’a absolument pas besoin de se substituer au système fiat. Son attrait principal est d’être la meilleure réserve de valeur au monde. Pour deux raisons :

-Quantité absolument finie (21 M)
-Divisibilité (100 M de satoshis par Bitcoin)

Ce second attribut est crucial. Alors qu’il fallait auparavant être riche pour se protéger de l’inflation (immobilier des grandes villes, peintures de grands maitres, voitures de collection, etc), ce privilège est désormais accessible à tous.

Tel est le véritable destin du bitcoin : protéger de l’inflation, et non pas remplacer le système fiat. Le fait qu’il puisse également servir de moyen de paiement est secondaire.

Croire que le bitcoin remplacera le système bancaire est une distraction qui provoque des impasses mentales chez beaucoup de monde. Nombreux sont ceux qui se disent par exemple :

« Hum, la promesse du bitcoin est de remplacer la monnaie fiat. Mais en même temps, il est trop volatil, il est taxable à chaque transaction, il y a un trou dans la raquette à cause des intérêts, les gouvernements refuseront toujours d’abandonner leur monnaie, et donc il ne remplacera pas la monnaie fiat, et donc je n’en achèterai pas ».

Les économistes autrichiens et leurs illusions ravivées par l’avènement du bitcoin sont un frein majeur à son adoption. Il faut arrêter de trompéter que le bitcoin peut ou doit remplacer les monnaies nationales.

Le bitcoin est en réalité en compétition avec l’or et tous les actifs risqués pour l’investissement à long terme. Il est en concurrence avec l’investissement dans l’immobilier pour faire du AirBNB, Western Union ou encore les bons du Trésor américains en tant que monnaie de réserve internationale.

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Nicolas T.

Reporting on Bitcoin, "the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy".

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Les propos et opinions exprimés dans cet article n'engagent que leur auteur, et ne doivent pas être considérés comme des conseils en investissement. Effectuez vos propres recherches avant toute décision d'investissement.