Affaire Tornado cash : La confidentialité en danger ?
Tornado Cash, mixer d’Ethereum (ETH) et par ailleurs open source, vient d’être interdit par les autorités américaines. Certains des concepteurs auraient été arrêtés. Voyons ce qu’est un mixer et en quoi son interdiction est significative d’une époque où la vie privée des citoyens n’a plus voix au chapitre. On pourrait résumer ainsi : « Vous n’aurez plus aucune vie privée et vous serez heureux ».
« Ne pas se soucier de l’anonymat parce qu’on a rien à cacher, c’est un peu comme ne pas se soucier de la liberté d’expression parce qu’on a rien à dire » – Edward Snowden.
Les autorités fédérales américaines ont décidé d’interdire Tornado Cash et de blacklister toutes les adresses ETH (appelées Specially Designated Nationals, SDN) qui ont eu, de près ou de loin, un lien avec ce mixer. Les détenteurs américains des adresses ETH deviennent tous quasiment des criminels en puissance et passibles de prison (une simple réception de cryptos sur une de ces adresses devient un crime, une vraie bizarrerie que l’on va expliquer un peu plus bas). L’interdiction brutale d’un logiciel open source, sous couvert de lutte contre le blanchiment, est une grande première qui fait froid dans le dos de la communauté crypto.
Tornado Cash : comment ça marche ?
Tornado Cash est une application open source, décentralisée donc, qui permet aux utilisateurs d’effectuer des transactions privées sur le réseau Ethereum. La blockchain étant consultable par tous (avec la traçabilité des opérations), certains utilisateurs souhaitent plus de confidentialité. Ils utilisent un mixer de cryptos, comme on utiliserait de l’argent liquide. Tornado Cash fonctionne de manière décentralisée (et autonome) sans jamais avoir accès aux clés privées.
À l’aide de contrats intelligents (Smart contracts) et d’une cryptographie axée sur la confidentialité, Tornado Cash permet de briser les liens entre adresses de destination et de réception. Néanmoins cela reste possible d’identifier les adresses litigieuses, fruits de piratages. Les développeurs du projet ont déjà montré qu’ils étaient prêts à aider les autorités, ils l’ont d’ailleurs déjà fait dans l’affaire du piratage de Kucoin. Le principe est expliqué dans cet article (en anglais) : Kucoin avait récupéré 260 millions de $. Les développeurs de Tornado Cash avaient également réitéré en avril cette année leur volonté d’aider les autorités à traquer les hackers afin que les autres utilisateurs puissent utiliser un outil préservant leur confidentialité (ce ne sont pas tous des criminels en puissance !). À l’aide des contrats oracles de Chainalysis les adresses de portefeuilles sanctionnées par l’Office of Foreign Assets Control peuvent être bloquées.
Tornado cash est d’abord un outil
Les développeurs affirmaient : « Le maintien de la confidentialité financière est essentiel pour préserver notre liberté, mais il ne doit pas se faire au prix de la non-conformité. »
L’OFAC (Office of Foreign Assets Control) a frappé fort en lançant quasiment sans préavis une série de mesures pour interdire l’utilisation de Tornado Cash. Ce qui est nouveau dans ces mesures, c’est que les autorités interdisent un smart-contract, un logiciel open-source. Tornado Cash reste pourtant un outil avant tout, mais comme il peut être utilisé par des hackers, il devient l’« outil à abattre ». Difficile d’y trouver un sens : la mafia utilise beaucoup d’argent liquide : doit-on supprimer l’argent liquide ? Et que dire des banques « officielles », premières à blanchir de l’argent et condamnées à maintes reprises pour corruption et autre « Madofferies » ?
Lutte contre la fraude ou suppression de la confidentialité pour les citoyens ?
Depuis 2019, Tornado Cash aurait permis, d’après le Trésor américain, de blanchir 7 milliards de dollars. L’outil doit donc être supprimé, de même que toutes les adresses ayant interagit avec cet outil. Finalement c’est un peu comme si la pièce de monnaie que vous allez utiliser pour acheter votre baguette, ou votre burger, faisait de vous un coupable si cette pièce a un jour été blanchie par un malfrat. Quand on sait qu’une étude diligentée par le FBI montre que des traces de cocaïne sont présentes sur plus de 90% des billets verts, on imagine le nombre de personnes innocentes à mettre en prison !
Cette décision a suscité un tollé dans la communauté crypto, très consciente et soucieuse du droit à la vie privée. « Je ne pense pas du tout que c’était approprié », a déclaré Preston Van Loon, « Tornado Cash est un outil, comme les autres, qui peut être utilisé pour le mal et le bien ».
Il s’agit clairement d’interdire une technologie et potentiellement de sanctionner non seulement les personnes qui l’ont mises au point, mais également celles qui l’ont utilisée ! Le plus absurde est que les Américains qui recevraient de la crypto sur une adresse incriminée seraient passibles de sanctions alors qu’ils seraient dans l’impossibilité de rejeter cette même transaction !
Selon Chainalysis, référence dans le traçage des transactions en cryptoactifs, 18% des fonds ayant transité par Tornado Cash depuis son lancement provenaient d’entités sanctionnées et un peu moins de 11% étaient identifiés comme des fonds volés.
Dis autrement : il s’agit d’imposer une limite de dépenses à tout Américain qui souhaite utiliser son propre argent via un outil logiciel librement disponible pour préserver sa vie privée. Et des limites de paiement en cash, on les connaît également en France : 1000 euros d’un particulier à un professionnel notamment.
Crypto humour face aux sanctions
Des personnalités phare de la cryptosphère se sont insurgées contre cette interdiction. Vitalik Buterin par exemple a souligné l’importance de la confidentialité, y compris pour la personne qui reçoit un don (ce qui est une explication discutable puisque l’adresse ETH de don est connue …). De nombreuses entreprises crypto utilisent Tornado Cash pour préserver leur droit des affaires. « Vous n’avez pas forcément envie que tout le monde sache quels investissements vous réalisez. Si une des adresses que vous utilisez fuite, Tornado Cash est utile pour retrouver l’anonymat », explique Noé Giglio, cofondateur de White Loop Capital, fonds d’investissement privé spécialisé dans les cryptoactifs.
Comme on peut garder le sens de l’humour, même dans la tourmente, un utilisateur de Tornado Cash a décidé d’envoyer 0,1 ETH aux utilisateurs VIP, les mettant ainsi dans la case des délinquants comme les autres. On peut ainsi retrouver Jimmy Fallon (animateur et producteur), Shaquille O’Neal (joueur de basket), PUMA, Randi Zuckerberg (Cheffe d’entreprise), Logan Paul (boxeur, acteur), Brian Armstrong (CEO de Coinbase), Steve Aoki (DJ), Ukraine Crypto Donation, Dave Chappelle (humoriste), Beeple (artiste)…. Des amendes peuvent pleuvoir, voire même des peines de prison. En attendant ce sont des centaines d’adresse d’ETH, de WBTC, d’USDC ou d’USDT bannies pour un montant actuel total de 437 millions de dollars.
Arrestations en cours et interdictions en cascade
Par effet boule de neige, certaines plateformes comme Circle ou dYdX ont bloqué des milliers d’utilisateurs, même quand ils n’avaient que des poussières venant de Tornado Cash. La police hollandaise aurait arrêté un développeur : « Il est soupçonné d’être impliqué dans la dissimulation de flux financiers criminels et de faciliter le blanchiment d’argent en mélangeant des crypto-monnaies par le biais du service décentralisé de mélange d’Ethereum Tornado Cash », a déclaré l’Agence néerlandaise de lutte contre la criminalité (FIOD). La preuve que même la DEFI n’est pas vraiment décentralisée et que l’on peut être privé d’accès à ses fonds du jour au lendemain.
Une interdiction difficilement applicable
Tornado Cash n’est pas le premier mixeur à avoir été dans le viseur des autorités américaines. En mai dernier, le Trésor américain avait déjà sanctionné Blender. Les cryptos issues du piratage du réseau Ronin Network, le plus important de l’histoire de l’écosystème crypto avec 624 millions de dollars dérobés, avaient été blanchis par ce mixer.
Blender est un serveur centralisé, mais Tornado Cash ne peut pas simplement être arrêté : le code des smart contracts peut fonctionner sans maintenance. Les autorités américaines ont donc fiché toutes les adresses en lien avec Tornado Cash. En gelant toutes les adresses détenant de l’USDC, 2ème stablecoin en volume, Circle risque de déstabiliser le marché crypto.
Ce pouvoir de censure et de confiscation de fonds pousse de nombreux acteurs de la DeFi à lancer leur stablecoin décentralisé, afin de réduire leur dépendance aux stablecoins centralisés comme l’USDC ou l’USDT de Tether.
Cash et vie privée : l’État vous a à l’oeil
Les gouvernements disent lutter contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent, pourtant les banques continuent de blanchir l’argent par milliards, les milliardaires s’installent dans des paradis fiscaux, les lanceurs d’alerte ne sont, au mieux, pas écoutés, harcelés voire emprisonnés. L’article de Rolling Stones décrit très bien cette situation « too big too jail » :
« Le ministère américain de la Justice a accordé une promenade de santé totale aux dirigeants de la banque HSBC, basée en Grande-Bretagne, dans le cadre de la plus grande affaire de blanchiment d’argent liée à la drogue et au terrorisme. Oui, ils ont infligé une amende – 1,9 milliard de dollars, soit environ cinq semaines de bénéfices – mais ils n’ont pas réussi à arracher un seul dollar ou un seul jour de prison à un seul individu, malgré une décennie d’abus stupéfiants. (…) Pendant au moins une demi-décennie, l’ancienne puissance bancaire coloniale britannique a aidé à blanchir des centaines de millions de dollars pour les gangs de la drogue, notamment le cartel mexicain de Sinaloa, soupçonné d’avoir commis des dizaines de milliers de meurtres au cours des dix dernières années. La banque a également transféré de l’argent pour des organisations liées à Al-Qaïda et au Hezbollah, ainsi que pour des gangsters russes ; elle a aidé des pays comme l’Iran, le Soudan et la Corée du Nord à échapper aux sanctions ; et, tout en aidant des meurtriers, des terroristes et des États voyous, elle a aidé d’innombrables fraudeurs du fisc à cacher leur argent..
Les Américains ont compris depuis longtemps que les riches ont de bons avocats et s’en sortent, tandis que les pauvres sont dans la merde et vont en prison. (…) Le gouvernement admet qu’il a peur de poursuivre les très puissants, ce qu’il n’a jamais fait, même à l’époque d’Al Capone ou de Pablo Escobar, ni même avec Richard Nixon. Et lorsque vous admettez que certaines personnes sont trop importantes pour être poursuivies, il n’y a que quelques pas vers le corollaire évident – que tous les autres sont suffisamment insignifiants pour être emprisonnés. »
En d’autres termes, les puissants font ce qu’ils veulent, mais les citoyens n’ont plus leur mot à dire depuis longtemps. En France, et en Europe plus généralement, c’est la même chose : pour lutter contre la fraude, on limite le cash des citoyens lambda, on supprime même des ATM, et on interdit à mamie d’envoyer des étrennes à ses petits-enfants. Mais parallèlement c’est la fête dans les banques.
Vous pouvez consulter des articles expliquant le fonctionnement des mixers ou comprendre pourquoi le bitcoin (BTC) n’est pas anonyme (mais pseudonyme) : ce n’est pas l’outil idéal des malfrats en tout genre.
Les gouvernements souhaitent contrôler tout des citoyens, dépenses incluses. Ils ne rêvent que d’imposer les CBDC (monnaie numérique centralisée) et détestent bien entendu tout ce qui peut offrir un peu de décentralisation aux administrés. Tornado Cash est un exemple parmi d’autres de la répression envers les plus petits, tandis que les autres, plus puissants, font à peu près tout ce qu’ils veulent. Arrêter les développeurs est une injustice absolue et même un non-sens. Chaque vol ou piratage dans le monde des cryptos donne un prétexte de plus pour mettre la pression sur la cryptosphère dans son intégralité. L’hiver crypto s’annonce de plus en plus douloureux et long.
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Subprimes, crises financières, inflation galopante, paradis fiscaux... Le bitcoin a été conçu pour plus de transparence et peut-être enfin changer la donne. J'essaie de comprendre ce nouvel environnement et tente de l'expliquer à mon tour. La route est sans doute longue, mais elle en vaut la peine.
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