Le minage de bitcoins (BTC) est-il dépendant des États-Unis ?
Le bitcoin (BTC) est une révolution technologique qui permet d’avoir une monnaie neutre, incensurable et inarrêtable… ou presque. À condition de ne pas capter plus de la moitié de la puissance de calcul du minage. Ce serait le seul moyen techniquement possible de contrôler le réseau et de censurer des transactions. Ce scénario reste très improbable. Toutefois, 40 % des pools de minage de BTC sont concentrés aux États-Unis depuis l’interdiction, en 2021, du minage en Chine. Le minage de BTC peut-il donc dépendre des États-Unis ? Une attaque à 51 % est-elle possible de leur part ou de celle d’autres puissances ? Analysons les conditions d’un éventuel contrôle du minage de BTC par les États-Unis, et toutes les conséquences associées.
Rappel de la définition du minage de BTC
Le rôle des mineurs consiste à sélectionner les transactions BTC et à sécuriser les blocs de transactions. En d’autres termes, sécuriser le réseau BTC, dans le cadre du Proof-of-Work. Les mineurs sont en compétition pour trouver la solution d’une équation mathématique, afin de sécuriser les transactions non encore inscrites dans la blockchain. Cette clé permet de verrouiller le contenu d’un bloc et de le rendre inaltérable. Dès qu’un mineur trouve la combinaison gagnante, il gagne le droit d’ajouter son nouveau bloc aux autres blocs de la blockchain du réseau BTC. Le mineur gagnant récolte des BTC nouvellement créés, ainsi que les frais de toutes les transactions BTC du bloc concerné. La mission de l’ensemble des validateurs du protocole consiste à vérifier unanimement et instantanément la conformité du bloc ainsi sécurisé. Autrement dit, approuver le travail des mineurs et assurer l’intégrité du réseau.
La sécurité du réseau dépend du nombre de mineurs en activité et de leur puissance de calcul déployée (hashrate). Plus les mineurs sont nombreux et le hashrate élevé, plus le problème numérique à résoudre est complexe, plus la difficulté de minage est élevée, et plus le réseau est sécurisé. Les chances d’élucider l’équation mathématique pour un mineur dépendent également de l’énergie qu’il consomme. Par conséquent, plus la puissance de calcul d’un mineur est élevée, meilleures sont ses chances de sécuriser les blocs. Les mineurs utilisent des machines ASICS qui réalisent des milliards de combinaisons par seconde.
Le contrôle de la puissance de calcul (hashrate) du réseau BTC
Le hashrate total du réseau BTC est actuellement évalué à 340 EH/s, à savoir 340 milliards de milliards de calculs (hash) par seconde. Les 500 plus gros calculateurs de la planète ne représentent que 1 % de cette puissance de minage. Ce qui en fait le réseau informatique le plus puissant de la planète. Ce hashrate est en augmentation constante sur le long terme.
Contrôler la puissance de calcul du réseau entier revient donc à posséder la moitié du hashrate total, soit 170 EH/s. Cela revient également à détenir le contrôle sur la création des blocs et le choix des transactions à sécuriser. En effet, posséder plus de 50 % du hashrate donne une probabilité plus grande de trouver l’équation mathématique avant les autres. Ce qui n’est toutefois pas une certitude absolue, car les chances pour un mineur « minoritaire » de miner le bloc existent. Néanmoins, les mineurs dits « majoritaires » auront statistiquement plus de chance de miner sur la chaine de blocs ayant accumulé le plus de preuve de travail, selon le consensus de Nakamoto. C’est donc une stratégie aléatoire et risquée, mais potentiellement payante à long terme. Les mineurs minoritaires seraient en effet tentés de rejoindre les mineurs majoritaires, augmentant d’autant le hashrate de ces derniers.
L’hégémonie des États-Unis dans le minage de BTC : les pools de minage
Depuis l’interdiction du minage de BTC en Chine en 2021, la part du hashrate des États-Unis a fortement augmenté. Sa puissance de calcul a atteint 37,8 % du total mondial en janvier 2022. Ce chiffre est toutefois à relativiser. En effet, les pools de minage peuvent regrouper plusieurs mineurs répartis dans le monde entier. Pour rappel, un pool de minage représente un opérateur intermédiaire qui va cumuler de la puissance de calcul de plusieurs mineurs afin d’augmenter leurs chances de miner un bloc.
À titre d’exemple, la pool « Foundry USA » regroupe de nombreux mineurs dont la puissance de calcul se trouve en dehors des États-Unis. Les pools de minage ne sont donc pas une donnée fiable pour mesurer l’impact d’un état comme les États-Unis sur le minage de BTC. Les mineurs sont en revanche les principaux acteurs à considérer pour une éventuelle prise de contrôle de la puissance de calcul.
Les coûts de structure et d’électricité : un frein logistique
En considérant ces données, comment les États-Unis peuvent-ils techniquement contrôler la moitié de la puissance totale de minage de BTC ? Pour les bénéfices de la démonstration, une machine ASIC S19 possède une puissance moyenne de calcul de 100 TH/s. Nous avons donc l’équivalent de 3 400 000 machines ASIC S19 qui composent la puissance totale du réseau. Car 340 EH/s = 340 000 000 TH/s.
Si on considère qu’une machine ASIC S19 coûte environ 3 000 $, le coût total s’élève à environ 10 milliards de $. La moitié de la puissance de calcul en coûts des machines peut donc être évaluée à 5 milliards de $. Cela ne représente de 0,8 % du budget de 580 milliards de $ pour la recherche et l’innovation dans le nouveau plan de relance économique de l’administration Biden en 2021.
L’investissement calculé en machines est donc réaliste, mais deux problèmes de logistique se posent. D’une part, il faudrait acheter et/ou produire localement 1 700 000 machines. En sachant que l’équivalent de 3 400 000 machines sur 14 années représente environ 240 000 machines fabriquées par an. Les États-Unis devront contrôler la fabrication de leurs machines, en anticipant une hausse constante du hashrate total dans le futur. D’autre part, cette puissance de calcul nécessite une puissance électrique. Le réseau BTC consomme 80,7 TWh, ce qui correspond à une puissance totale de 9,2 GW. Il faudrait donc une puissance d’environ 5 GW, soit l’équivalent de 5 réacteurs nucléaires (si on considère qu’un réacteur est environ 1 GW), uniquement consacrée au minage de BTC. Ce qui correspond à la puissance de chacune des 1 700 000 machines, comprise entre 2500W et 3000W. Sans compter les coûts de structure additionnels.
Lobbying des États-Unis auprès des mineurs américains de BTC
La stratégie d’acquisition de matériel industriel pour contrôler le hashrate mondial du réseau BTC resterait donc hasardeuse et incertaine. Dans le cadre d’une hypothétique ambition de contrôle du minage de BTC, les États-Unis devront donc user de leur influence. Et ce, afin d’attirer vers eux la puissance de calcul de mineurs locaux, mais également étrangers. Deux options se présenteraient. La première option consisterait à offrir aux mineurs de BTC des privilèges fiscaux aux États-Unis. À condition que ceux-ci se plient aux différentes régulations des États-Unis concernant le réseau BTC. La deuxième option concernerait l’utilisation des ressources énergétiques nationales, mais aussi internationales. En effet, la survie des mineurs passe essentiellement par l’utilisation des surplus d’énergie renouvelable qui seraient gaspillés car non stockables.
Dans un contexte national, à titre d’exemple, les États-Unis produisent 15 % du pétrole dans le monde. Le torchage traduit une combustion du méthane libéré lors de l’extraction du pétrole, afin d’éviter son émission directement dans l’atmosphère. Les mineurs locaux représentent des clients parfaits pour l’exploitation de ce gaz très largement inexploité et non valorisé aux États-Unis. En se connectant directement aux infrastructures sur place, ils réduiraient la pollution et les amendes défrayées par les plateformes pétrolières. Les économies ainsi réalisées pourraient revenir en partie aux mineurs installés sur le sol américain, à titre d’incitatifs financiers. Un autre exemple local concerne l’utilisation de l’énergie solaire, de l’énergie éolienne et du gaz naturel au Texas. Les mineurs sont incités à s’installer dans les zones désertiques de l’état, où l’offre est abondante, mais la demande inexistante.
Lobbying des États-Unis auprès des mineurs internationaux de BTC
Dans un contexte international, la batterie énergétique que représente le minage fructifie l’énergie perdue pour inefficience. Estimé à 50 000 TWh en 2022, ce gaspillage correspond au tiers de la consommation actuelle d’énergie totale dans le monde. Il est considérable et représente un potentiel gigantesque pour l’industrie du minage partout dans le monde. Rappelons que le réseau BTC consomme actuellement 80 TWh. Ces surplus sont inexploités, car situés dans des endroits reculés auxquels seuls les mineurs ont accès, à l’image du Texas. Les États-Unis pourraient de nouveau user de leur influence internationale afin de nouer des relations commerciales avec les pays concernés. Les avantages accordés aux mineurs seraient toujours d’ordre essentiellement financier.
Il reste toutefois un enjeu majeur à considérer dans une hypothétique hégémonie des États-Unis concernant le minage de BTC. Les autres nations, puissances émergentes et autres BRICS vont certainement vouloir une part du gâteau de cette industrie. En admettant que le BTC soit une technologie qui revêtira un intérêt économique puissant, elles adopteront les mêmes stratégies d’acquisition d’une partie du hashrate que les États-Unis. Les Russes favorisent actuellement les mineurs en Sibérie notamment au travers d’incitatifs gouvernementaux. Depuis la guerre en Ukraine, l’éviction de la Russie du système Swift et de la finance mondiale, le pays se positionne concrètement sur l’industrie de minage de BTC. Les surplus d’énergie hydroélectrique sont également en abondance en Amérique du Sud. Et le Moyen-Orient profitera sûrement de sa position dominante dans la production de pétrole.
La théorie des jeux à l’international : une garantie de la résilience du BTC
La technologie du BTC reste encore incomprise par les gouvernements. Si les États-Unis temporisent, les BRICS et pays adversaires vont certainement être dans l’expectative. Au risque, pour les parties prenantes, de prendre du retard sur leurs concurrents dans cette quête de hashrate. Une fois adoptée, la technologie deviendra un outil politique et un enjeu de pouvoir. Les États-Unis et autres pays alliés seraient alors tentés d’engager une stratégie agressive de contrôle du minage de BTC. Au risque de mettre en porte-à-faux l’hégémonie du dollar. Nul doute que les autres puissances mondiales rivales vont adopter la même stratégie. Au risque toutefois de désavouer leurs politiques respectives de développement de leurs monnaies numériques de banque centrale. Dans les deux scénarios, la décentralisation et la résilience du réseau en sortiront renforcées. Et aucune nation n’aura véritablement le contrôle du réseau.
Certains pays ne sont pas rentrés dans cette théorie des jeux entre les différentes puissances. En adoptant seul le BTC comme monnaie légale en septembre 2021, le Salvador a pris un risque. À savoir que le BTC soit marginalisé à l’extrême et ne devienne pas l’alternative attendue au système financier mondialisé actuel. Cette décision historique sans précédent a suscité de vives controverses, mais a contribué à l’essor économique du pays. D’autres pays comme la Chine se sont, à l’inverse, exclus eux-mêmes de cette théorie des jeux, en interdisant le minage. Le risque étant que le BTC soit utilisé au détriment du yuan numérique. La théorie des jeux est donc inhérente au protocole du BTC. Si les États-Unis souhaitent prendre le contrôle sur le minage de BTC, ils seront nécessairement suivis de puissances étrangères. Afin de préserver la décentralisation du réseau et la résilience du BTC, qui caractérisent naturellement sa valeur fondamentale.
Conclusion
Le contrôle des ressources énergétiques a toujours été un atout majeur des grandes puissances mondiales. L’hégémonie actuelle des États-Unis sur le minage de BTC soulève un point fondamental. La mesure de la puissance économique, nucléaire et militaire d’un pays sera désormais accompagnée de celle de sa puissance de calcul au sein du réseau BTC. Le hashrate d’un pays mesurera son pouvoir d’influence dans le monde, et le droit d’interagir à la table des grands. Les États-Unis n’auront certainement jamais le contrôle du réseau, car la théorie des jeux inhérente au protocole s’appliquera. Ils peuvent à tout le moins sécuriser leur position dominante actuelle. Toutefois, certains enjeux géopolitiques vont influencer directement leur future stratégie. D’une part, la course à la puissance de minage fera également partie de la stratégie internationale des autres pays. D’autre part, le BTC doit être définitivement et rapidement pris au sérieux, sans ambivalence de la part des États-Unis. Entre la mise en place du dollar numérique, l’ouverture de certains états comme le Texas, la condamnation des stablecoins, et le souhait de Joe Biden de davantage taxer les mineurs, les États-Unis doivent clairement se positionner. En attendant, la résilience du BTC a de beaux jours devant elle.
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Consultant international en gestion de projet. Ingénieur de formation, avec une maîtrise en administration des affaires (M.B.A.) et affaires internationales d’HEC Montréal. Passionné de technologie et de cryptomonnaies depuis 2016.
Les propos et opinions exprimés dans cet article n'engagent que leur auteur, et ne doivent pas être considérés comme des conseils en investissement. Effectuez vos propres recherches avant toute décision d'investissement.