NFT et IA : Un art (dé)généré ?

Impossible de passer à côté des récentes percées en matière d’intelligence artificielle. De plus en plus sophistiquées, des applications dédiées font leur irruption au sein de l’écosystème des NFT et des cryptomonnaies. En rajoutant une surcouche artificielle à un secteur déjà très spéculatif, l’IA fait débat, même au sein des artistes digitaux et du crypto-art. Si jusqu’à présent, les projets NFT étaient relativement artisanaux, va-t-on désormais assister à un déferlement des collections générées par l’intelligence artificielle ?

NFT : L’art génératif d’IA, une tendance qui se confirme.

Cointribune vous en parlait déjà en 2022, la tendance semble plus que jamais se confirmer. On connaît la propension de la cryptosphère à s’emparer des dernières nouveautés avec enthousiasme. On commence ainsi à assister à un usage intensif de l’IA appliqué au crypto-art. Alors que les NFT sont déjà largement éloignés d’un travail artistique traditionnel, cette fois-ci, une autre étape semble être franchie : on peut dorénavant créer sa collection en moins de cinq minutes. Ensuite, il suffit de la tokeniser via la blockchain et de la proposer sur Opensea ou d’autres places de marché comme Rarible.

En 2019, AI-DA devenait la première robot artiste au monde, et également la première machine à faire un discours devant le parlement britannique. Depuis, l’intelligence artificielle s’est démocratisée : elle est accessible au grand public. En quelques clics, on peut donc créer très rapidement des images très séduisantes à partir d’un simple texte, appelé « prompt ». Midjourney, Dall-E ou encore Stable Diffusion font partie des applications les plus populaires.

En accès libre (mais limités en quantité ou en temps), ces plateformes séduisent de plus en plus d’utilisateurs : simples curieux, professionnels du graphisme, artistes ou techno-enthousiastes. Une recherche rapide sur le discord de Midjourney témoigne d’ailleurs de l’engouement de la communauté crypto pour cette technologie. On y trouve par exemple des prompts tels que « Bitcoin logo with an astronaut walking on the moon » ou encore « Ethereum nightmare ». L’imagination des internautes semble être la seule limite à la génération de ces images, souvent bluffantes et fascinantes.

La confusion des genres

Les communautés d’art en ligne comme DeviantArt, ArtStation ou encore Newgrounds sont aujourd’hui dépassées par cette toute nouvelle façon de faire de l’art. C’est pourquoi plusieurs d’entre elles choisissent d’exclure les IA artists, considérés comme des profiteurs, voire des fraudeurs. Problème : les images générées sont tellement difficiles à détecter que certains véritables artistes ont été bannis, accusé à tort d’utiliser eux-mêmes l’IA…
Les images générées par l’intelligence artificielle sont-elles de l’art ? Deux visions du monde s’affrontent désormais. Quoi qu’il en soit, l’IA impressionne par sa puissance grandissante dans le domaine de la génération automatique d’images.

Dans ce contexte, les crypto degen paraissent aujourd’hui au sommet de leur art. Dans l’écosystème, un crypto-degen désigne un spéculateur peu avisé. Souvent, on l’associe à une personne qui fait un usage particulièrement déraisonnable des technologies liées aux cryptomonnaies. L’intelligence artificielle appliquée aux NFT entre clairement dans ce cadre. Ces nouveaux artistes dégénérés explorent maintenant ce qui ressemble à marché émergent, sans foi ni loi. NFT, crypto et IA : voilà le cocktail explosif qui a en effet toutes les chances pour devenir un phénomène viral spéculatif. Car dans ce nouveau far west numérique, l’utilisation massive de l’IA ne connaît pas (encore) de limites morales. De même, la question des droits d’auteur et de la paternité des œuvres est loin d’être tranchée.

Les IA artists, ou l’art de générer des NFT

Ainsi, la frénésie d’images s’ajoute à la spéculation délirante autour des NFT. On se souvient de la folle enchère autour du NFT de l’artiste Beeple. Vendue à 69,3 millions de dollars, c’est la troisième oeuvre d’art la plus chère d’un artiste vivant. Pour l’artiste numérique Albertine Meunier, active depuis 1998, cette vente est surtout une « opération de communication ». Une sorte de démonstration de force de la part de ceux qui payent cash (en crypto) des œuvres à des prix fous. Selon elle, il s’agit avant tout de montrer que « Les gens qui ont de l’argent sont des gens qui ont des cryptomonnaies ».

Albertine Meunier génère elle-même certaines de ses œuvres via l’IA. Elles se vendent actuellement pour une dizaine de Tezos (une cryptomonnaie française), soit environ 9 $. On est donc bien loin des sommes mirobolantes de la « crypto-Joconde ». Quant au résultat esthétique, on vous laisse juger. Mais l’artiste a de toute évidence choisi de tourner en dérision sa propre expérience avec l’IA, avec une collection intitulée sobrement « Albertine Meunier is eating sausages and chips ».

GM! GM! pic.twitter.com/NXFJHcH5Np

— albertine meunier (@albertinmeunier) January 15, 2023

Plus globalement, l’IA révolutionne aussi le monde du design. De nombreux graphistes ou web designers l’utilise désormais au quotidien. De même, dans l’écosystème crypto, de plus en plus de projets associent la blockchain à l’intelligence artificielle. La galerie en ligne Sirens a ainsi sorti une collection à propos de la guerre en Ukraine. Le profit tiré de la vente de ces NFT sera reversé à plusieurs organismes pour la reconstruction du pays. Vous l’aurez compris, l’IA se déploie partout, et en premier lieu dans le domaine des NFT d’art. Pour l’instant, les montants sont encore loin de pouvoir rivaliser avec les NFT les plus chers, réalisés de manière classique. Mais ne sommes-nous pas à l’aube d’une révolution du marché de l’art numérique ?

Crypto-art et IA, une nouvelle philosophie

Le phénomène soulève d’autres questions : les images générées sont-elles de l’art ? Quel statut juridique accorder à ces œuvres ? Qui en est propriétaire ? À qui reviennent les droits d’auteur ? À l’artiste, à l’éditeur du logiciel, voire même à la machine ?

De plus, l’incroyable profusion de ces images laisse songeur. Les œuvres d’art ne sont-elles pas en train d’être diluées, saturées à outrance par l’immense manne de données disponibles ? Ce changement de paradigme inquiète autant qu’il fascine. L’utilisation intensive de l’intelligence artificielle ouvre de nouvelles brèches et pose de sérieuses questions philosophiques aux artistes et aux amateurs d’art. En effet, face à l’abondance d’images générées, que reste-t-il de la valeur d’un travail d’artiste ? Le marché des NFT pourrait ainsi se tirer une balle dans le pied en s’engouffrant dans ces nouvelles pratiques automatisées. Qui serait prêt à acheter de la « rareté numérique » qui n’a plus grand-chose de rare, car disponible de manière illimitée ?

Malgré tout, de vives critiques existaient également au début du phénomène des NFT. On peut alors douter que de telles considérations morales puissent vraiment freiner l’appétit des investisseurs crypto. Au contraire, la bulle des NFT pourrait encore se renforcer à travers la tendance virale de l’IA. Parallèlement, l’intelligence artificielle réalise aussi une percée technologique spectaculaire avec les logiciels de génération de texte. Cointribune avait d’ailleurs relayé le récit que faisait OpenAI de l’histoire du bitcoin, avec un résultat bluffant de créativité. Une chose est sûre : l’IA n’a pas fini de faire parler d’elle dans l’écosystème crypto.

L’image de couverture de cet article a été réalisée à l’aide de l’IA de Midjourney.