Afrique : Entre interdiction, pénalisation et régulation ; les cryptomonnaies gagnent du terrain sur le continent
Depuis leur apparition en 2009 avec l’invention du célèbre anonyme Satoshi Nakamoto, les cryptomonnaies séduisent plus d’un. Leur présence dans le circuit financier mondial s’est imposée et plus personne ne peut les ignorer. Même les plus grands banquiers conservateurs qui ne jurent que par la monnaie traditionnelle n’y peuvent plus rien. Contre toute attente, ces nouveaux actifs numériques se sont frayé un chemin jusqu’en Afrique, un continent pourtant réputé moins avancé en matière technologique. Au cours de l’année 2022, un pays africain est allé jusqu’à adopter le bitcoin comme monnaie officielle. Un deuxième au monde. Au cours de cette même année, il a été organisé sur le continent l’une des plus grandes rencontres des acteurs de l’écosystème crypto. Face à cette inarrêtable adoption de cryptos par les populations locales, les banques centrales africaines fléchiront-elles ?
Les gouvernements africains farouches aux cryptomonnaies
Depuis son cours record en novembre 2021, à 69 000 $, le bitcoin et l’ensemble de ses altcoins ont suscité l’intérêt de nombreux investisseurs et institutions. Depuis, le nombre des utilisateurs ne cesse de croître et le continent noir ne veut pas manquer le rendez-vous. De nombreux utilisateurs trouvent, en effet, en elles une valeur refuge contre l’inflation grandissante qui frappe le continent. Bien que la majorité des banques centrales sur ce continent se montrent réticentes face aux cryptos, leur adoption n’attend pas. Les populations africaines, majoritairement jeunes, s’approprient de plus en plus l’invention de Satoshi Nakamoto.
Cependant, dans beaucoup de pays africains, le statut juridique du bitcoin et de l’ensemble de cryptomonnaies n’est pas clairement défini. Alors que le pays comme l’Égypte interdit formellement l’utilisation de cryptoactifs, dans d’autres pays par contre celle-ci n’est ni complètement légal ni illégal. Mais, en dépit de leur interdiction et de leur statut juridique ambigu, l’adoption de cryptomonnaies semble inarrêtable. En effet, les populations africaines trouvent dans cette nouvelle classe d’actifs un système financier capable de les libérer de l’exclusion bancaire dont elles sont victimes. Quant à l’Égypte, tout est clair : l’utilisation de cryptomonnaies ou même la simple détention de cryptos est interdite par la loi.
En Égypte la religion s’en mêle, le bitcoin est “Haram”
Avec une population majoritairement musulmane, l’Égypte a interdit le bitcoin aussi bien sur le plan religieux, moral que légal. Le Dar al-Ifta al-Misriyyah, le principal organe consultatif islamique du pays, a publié un décret religieux en 2018, classant les transactions bitcoin comme « haram », c’est-à-dire interdit par la loi islamique.
Les raisons ayant motivé cette mesure sont surtout d’ordre religieux et économique. Selon le grand mufti d’Égypte Shawki Allam, la plus haute autorité religieuse du pays, le bitcoin est comme un jeu de hasard, chose considérée comme un grand péché dans la religion musulmane. Par ailleurs, Shawki Allam considère que la décentralisation du bitcoin et sa forte volatilité pourraient ruiner les économies des Égyptiens et saper la capacité du pays à stabiliser sa propre monnaie. Bien que ne résultant pas de la loi, cet avis religieux et moral est lourd des conséquences dans un pays habité à près de 95 % par des musulmans pratiquants et où l’islam est la religion d’État.
En septembre 2020, une nouvelle loi bancaire a été adoptée dans le pays. Elle a fait écho à l’avis de l’autorité religieuse en interdisant à son article 206 « l’émission, le commerce et même la promotion de cryptomonnaies ». Bien qu’elle ne soit pas contraignante, cette loi accorde un crédit légal à l’appel moral lancé deux ans plus tôt par les autorités religieuses du pays.
En Algérie, les utilisateurs bravent l’interdit malgré un rapport tendu
L’Algérie est l’un de ces pays africains engagés dans un véritable bras de fer avec les utilisateurs de cryptomonnaies. Depuis décembre 2018, les autorités algériennes ont mis en place une loi de finances qui criminalise l’utilisation des cryptomonnaies dans le pays. En effet, la loi algérienne interdit et punit « l’achat, la vente, l’utilisation et la détention de toute monnaie dite virtuelle ». Le législateur algérien qualifie de monnaie virtuelle, « tout actif utilisé par les internautes à travers le web en l’absence de support physique tels que les pièces, les billets, les paiements par chèque ou carte bancaire ».
En outre, les articles 197 et 198 du Code pénal algérien punissent de réclusion criminelle à perpétuité, toute personne qui participe à « l’émission, la distribution, la vente et l’introduction sur le territoire national, des monnaies, des titres, bons ou obligations non légales ». Cependant, les Algériens bravent l’interdit et de nombreux jeunes investissent dans les cryptos. À en croire Nassim Bellour, déjà en 2017, ils étaient plus de 60 000 utilisateurs pour environ 300 000 transactions par jour. Et depuis lors, ces chiffres n’ont cessé d’augmenter.
Le Maroc est-il enfin prêt pour réglementer les cryptos ?
Le Marocain était en tête de liste des pays très hostiles aux cryptomonnaies. La loi du royaume, plus précisément, l’article 339 du Code pénal marocain punit de un à cinq ans de prison et d’une amende de 500 à 20.000 dirhams « la fabrication, l’émission, la distribution, la vente ou l’introduction sur le territoire du Royaume de signes monétaires ayant pour objet de suppléer ou de remplacer les monnaies ayant cours légal ». Pour tout clarifier, l’Office National des Changes avait rappelé que le bitcoin n’avait pas cours légal dans le pays. Et que le fait d’effectuer des transactions en monnaie virtuelle était érigé en infraction punissable.
Cependant, l’ancien empire chérifien n’est tout de même pas hermétiquement fermé aux progrès technologiques. Bien au contraire ! Même si le Code pénal de la monarchie constitutionnelle est hostile aux monnaies électroniques, les autorités marocaines s’investissent dans la promotion des blockchains à usage professionnel.
En dépit de l’interdiction, les cryptomonnaies ont gagné du terrain dans le pays. Le pays comptait plus de 1,15 million de détenteurs de cryptos en 2022. En conséquence, le gouvernement s’est senti obligé de réfléchir sur un projet de loi pour la réglementation de cryptoactifs. L’information avait été annoncée par la ministre de l’Économie et des Finances, Nadia Fettah Alaoui. C’était lors de son passage au parlement du pays le lundi 10 janvier 2022.
Selon la ministre, depuis 2021, le Maroc étudie la possibilité d’élaborer un cadre juridique pour réglementer l’utilisation de la cryptomonnaie. Celle-ci sera faite en collaboration avec Bank Al-Maghrib (BAM) et des partenaires internationaux. Aujourd’hui, tout indique que le projet de loi est fin prêt. Le gouverneur de la Banque centrale marocaine, Abdellatif Jouahiri, a expliqué que le projet sera bientôt disponible. Et d’ajouter que les différentes parties prenantes seront consultées.
Le Kenya ne cède pas malgré l’adoption populaire
Lors d’une conférence de presse organisée à l’occasion de l’annonce des politiques monétaires du pays, le gouverneur de la Central Bank of Kenya (CBK), Patrick Njoroge, s’est exprimé à propos du bitcoin et de toutes les autres cryptomonnaies par la même occasion. Il a clairement rappelé que l’institution kényane reste sceptique quant à l’utilisation des cryptomonnaies. La Banque Centrale du Kenya n’est pas à sa première prise de position contre le bitcoin. Déjà en 2015, la CBK avait publié une circulaire interdisant aux banques commerciales de coopérer avec les acteurs de l’écosystème. La circulaire nommait les particuliers et entreprises se servant de leurs comptes bancaires pour acheter des cryptomonnaies.
Depuis, de nombreuses banques ont à plusieurs reprises bloqué les transactions des clients souhaitant acheter les cryptomonnaies. Peut-on lire dans cet extrait de la circulaire : « Conformément à la circulaire n° 14 de 2015 de la Banque centrale du Kenya, les monnaies virtuelles telles que le bitcoin n’ont pas cours légal au Kenya […] NCBA Bank n’approuve pas les transactions en cryptomonnaies effectuées à l’aide de votre carte et n’effectue pas de transactions avec des institutions négociant des monnaies virtuelles […] protégez vos finances en évitant d’acheter, de détenir ou de négocier des monnaies virtuelles ».
La banque kényane semble en croisade contre les cryptomonnaies
La sortie médiatique du patron de la BCK démontre à suffisance que l’institution financière ne souhaite pas voir le bitcoin poursuivre son adoption massive dans le pays. Peine perdue. Malgré cette interdiction, les cryptomonnaies poursuivent leur bonhomme de chemin. Il faut le rappeler, le Kenya est l’un des pays africains disposant d’un cadre réglementaire permettant de taxer les cryptomonnaies. Le gouverneur de la Banque Centrale du Kenya a toujours démontré de l’enthousiasme envers la technologie blockchain. Il semble bien ouvert à l’idée de voir son institution développer, dans un futur non lointain, sa propre monnaie numérique.
Ces critiques à l’encontre du bitcoin prouvent à quel point les banques ont du mal à admettre qu’elles ne peuvent plus garder un contrôle total sur les avoirs des populations. La preuve en est que le Kenya occupe actuellement une place de taille dans l’adoption du bitcoin en Afrique. Cela malgré toutes les tentatives pour couper les robinets aux utilisateurs depuis des années. Le Nigeria a profité du lancement du eNaira, sa CBDC, pour intensifier ses attaques contre le bitcoin. Mais la chasse aux utilisateurs du bitcoin a produit un résultat positif. Ils se sont tous rués vers les échanges Pear to Pear qu’utilise bitcoin pour se passer des intermédiaires.
Après la RCA, la Tanzanie lancera-t-elle sa propre cryptomonnaie ?
La République Centrafricaine a été deuxième au monde à adopter le bitcoin comme monnaie officielle après le Salvador. En effet, le 21 avril 2022, les députés avaient adopté à l’unanimité le projet de loi sur l’utilisation des cryptomonnaies. En dépit des menaces et des avertissements donnés par le FMI contre cette décision, la RCA est clairement résolue à s’émanciper du système monétaire international et du franc CFA. Le pays a, en même temps, lancé sa propre cryptomonnaie, le SANGO Coin.
Dans la région, il est fort possible que la Tanzanie lance officiellement sa propre crypto. Depuis juin 2022, la présidente tanzanienne incite la banque centrale du pays à se pencher davantage sur ces monnaies numériques. Les arguments de Samia Suluhu Hassan portaient sur l’importance croissante que prennent les cryptomonnaies dans la finance mondiale. La Banque centrale du pays a récemment rappelé son projet de lancement d’une monnaie numérique. Cependant, elle ne compte pas y aller dans la précipitation pour éviter tout risque économique.
Conclusion
En dépit des restrictions et de cadres juridiques souvent flous, nous observons une adoption massive de cryptomonnaies sur le continent. De ce qui précède, tout porte à croire que les banques centrales africaines comprennent de que les cryptos sont inévitables. L’adoption du bitcoin comme monnaie légale en RCA y est certainement pour beaucoup. Avec l’adoption massive actuelle, les États africains comprennent la nécessité de régulariser l’utilisation de cryptomonnaies. Celle-ci parait urgente surtout que la majorité de la population est victime de l’exclusion financière du système traditionnel. Peut-on espérer qu’un autre pays africain suivra les pas de la RCA ?
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Internationaliste de formation et militant écolo, j’entre dans l’univers crypto car attiré par son côté intriguant et fascinant. Depuis fin 2020, je m’y investis chaque jour parce que je reste convaincu que les cryptomonnaies et sa technologie blockchain représentent une alternative monétaire du future et une technologie indispensable dans ce monde menacé des multiples crises.
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