Du pétrodollar au pétrobitcoin
L’Arabie saoudite aurait mis fin au système du pétrodollar, peut-on lire un peu partout sur X. Qu’en est-il vraiment ?
Le pacte de Quincy
L’Arabie saoudite n’aurait pas renouvelé « son accord de 50 ans sur le pétrodollar avec les États-Unis ». Un accord qui expirait le dimanche 9 juin 2024, peut-on lire ici et là.
S’il est permis de douter de l’existence d’un accord long d’un demi-siècle, c’est bien en 1974 qu’émergea le pétrodollar. Trois petites années après la fin des accords de Bretton Woods.
D’un point de vue historique, les prémices du pétrodollar remontent même à 1945. En revenant de la conférence de Yalta, le président Roosevelt fit escale à l’insu des Britanniques le long du canal de Suez. Il rencontra le roi Abdelaziz Al Saoud à bord du croiseur USS Quincy, d’où l’expression « pacte de Quincy ».
Ce mouillage diplomatique se déroula si bien que Roosevelt offrit son fauteuil roulant au roi saoudien, également infirme. Malgré cette bonne entente, le roi refusa d’autoriser l’installation de juifs en Palestine. Le président américain assura toutefois l’essentiel en écartant la British Petroleum au profit des compagnies pétrolières américaines.
Cet accord tacite empêchait la création d’un État juif, mais Roosevelt mourra 2 mois plus tard. Son successeur Harry Truman sera lui un farouche supporter de la fondation d’Israël. Il reconnaîtra l’État hébreu 11 minutes après que les Israéliens se soient déclarés une nation, contre l’avis de son ministre des Affaires étrangères.
Le coup de maître d’Henry Kissinger
C’est en 1974 que se déroula la seconde rencontre historique entre les Saoud et le gouvernement américain. Henry Kissinger est alors Secrétaire d’État depuis un an. Sa mission ? Imposer le dollar aux ingrats du vieux continent qui osent demander de l’or.
Sa stratégie commença par une intervention en faveur d’Israël dans la guerre du Kippour.
[Pour plus de contexte, notez qu’Henry Kissinger est juif. Il fuit l’Allemagne nazie à l’âge de 15 ans et reviendra en uniforme 5 ans plus tard pour se battre en France et en Allemagne.]
En représailles, les pays arabes cessent leurs exportations de pétrole, principalement vers les nations européennes. Les États-Unis sont pour leur part auto-suffisants. Dès 1974, le prix du baril quadruple, passant de 3 à 12 dollars.
Cet embargo pétrolier est d’autant plus facile à mettre en œuvre que les États-Unis poussent depuis des années à l’émancipation de l’Irak, de l’Iran, du Koweït, des Émirats arabes unis, du Qatar et de la Libye vis-à-vis des compagnies européennes (British Petroleum, Royal Dutch-Shell et la Compagnie française des pétroles, ex-Total).
Kissinger voulait que le prix du baril explose pour affaiblir le vieux continent. Il sait bien que l’armée américaine aura le dernier mot si le ton monte, ce qui lui permet de s’imposer au cœur des relations internationales. La discorde internationale atteindra son paroxysme lorsque le président Gerald Ford reconnaît Jérusalem comme la capitale de l’État hébreu.
Pétrodollar
En réaction, l’Arabie saoudite continue de faire grimper le prix du baril, sans savoir qu’elle fait le jeu d’Henry Kissinger qui finira tout simplement par menacer d’utiliser la force pour remédier à ce qu’il qualifie « d’étranglement du monde industrialisé ». Le journal London Sunday Times révéla en février 1975 l’existence du plan « Dhahran Option Four » qui prévoyait d’envahir l’Arabie saoudite pour prendre possession de ses puits de pétrole.
Le roi Fayçal entendra très distinctement ces roulements de tambour. En fin d’année 1974, il finit par céder aux demandes d’Henry Kissinger qui lui promet la vente illimitée d’armement, un rétropédalage sur la question de Jérusalem et un retour d’Israël dans ses frontières de 1948 (plus une myriade de technologies).
En échange de quoi l’Arabie saoudite devait s’engager à :
1. Vendre son pétrole en exclusivement en dollar.
2. Investir ses surplus de dollars dans la dette américaine (Il était de toute façon impossible pour un royaume de 10 millions d’habitants de dépenser les milliers de milliards de pétrodollars).
Tous les pays de l’OPEP accepteront dès 1975 de libeller leur pétrole en dollar. Voilà dans les grandes lignes la genèse du pétrodollar. Le roi sera assassiné le 25 mars 1975, jour du Mawlid, date anniversaire de la naissance du prophète Mohamed. Par la suite, Israël ne reviendra jamais dans ses frontières de 1948.
Pétrobitcoin
Cinquante ans plus tard, le ministre des Finances de l’Arabie saoudite Mohammed Al-Jadaan a déclaré à l’occasion du WEF de 2023 « qu’il n’y a pas de problème pour discuter de la manière dont nous réglons nos accords commerciaux, que ce soit en dollar américain, en euro ou en riyal saoudien ».
Et cela, quelques semaines seulement après que Xi Jinping ait appelé depuis Riyad à ce que le royaume accepte le yuan. Autre signe qui ne trompe pas, l’Arabie saoudite a fortement réduit ses réserves de dollars.
Enfin, rappelons que les saoudiens ont rejoint le club des BRICS en début d’année et que cette alliance plaide ouvertement pour la dédollarisation.
Cela étant dit, il ne sera pas aisé de remplacer entièrement le dollar. Une nouvelle monnaie pivot (étalon) est indispensable. Quelle sera-t-elle ? L’or ? Nous savons tous comment le Gold Standard s’est terminé…
La relique barbare semble toutefois toujours séduire Vladimir Poutine qui a déclaré la semaine passée à l’occasion du Forum économique de Saint-Pétersbourg :
« Les autorités américaines sont en train de briser leurs « outils de grandeur ». Le dollar est l’un des rares instruments faisant la force des États-Unis. […] Naturellement, de nouveaux instruments apparaissent, tels que des instruments financiers de banques centrales, dont nous discutons au sein des BRICS. Toutefois, ces instruments doivent fournir des garanties. Quel est le meilleur actif pour garantir cela si ce n’est l’or ? »
Quand à l’hypothétique unité monétaire composée d’un panier de monnaies des BRICS, le président russe a botté en touche, ce qui suggère que ce projet a du plomb dans l’aile.
Quoi qu’il en soit, il faudra que l’Occident soit de la partie, ce qui est loin d’être gagné. La solution est par conséquent à chercher du côté d’une monnaie échappant aux nations, une monnaie apatride et apolitique.
Cette monnaie doit être une réserve de valeur absolue en même temps qu’un système de paiement international dont aucune nation ne pourrait être bannie. Nous parlons bien du Bitcoin et son architecture décentralisée.
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