Dette publique : Bercy sous pression, les investisseurs restent sceptiques
L’État français s’apprête à affronter une année sous haute tension sur les marchés financiers. Avec 300 milliards d’euros à emprunter en 2025, un niveau d’endettement inédit, Bercy doit manœuvrer dans un environnement particulièrement instable. L’Agence France Trésor (AFT), chargée des émissions de dette, se retrouve face à un double défi : garantir le financement du pays sans déstabiliser les marchés, et de rassurer des investisseurs de plus en plus prudents. En effet, l’incertitude politique complique encore davantage la donne. Depuis la chute du gouvernement Barnier, la France fonctionne sans budget voté, ce qui renforce les doutes sur la trajectoire budgétaire du pays. Une loi spéciale adoptée en urgence permet certes de maintenir les emprunts, mais cette solution temporaire ne suffit pas à dissiper les inquiétudes. Sur les marchés, les signes de fébrilité se multiplient. L’écart de taux entre la France et l’Allemagne, indicateur clé de la confiance des investisseurs, a doublé en un an pour dépasser 80 points de base. Ce signal traduit une perception plus risquée de la dette française et pourrait renchérir le coût du financement. Dans ce climat d’incertitude, Bercy doit trouver le bon équilibre. La stratégie de l’AFT, fondée sur la prévisibilité, la régularité et la flexibilité, suffira-t-elle à éviter une hausse excessive des taux d’intérêt ? À quelques jours des premières adjudications, la pression monte sur les responsables financiers, tandis que les investisseurs attendent des garanties sur la stabilité budgétaire du pays.
Un besoin de financement colossal sous surveillance
L’Agence France Trésor (AFT) lance son programme de financement pour 2025 dans un climat de forte pression relative à l’explosion de la dette. Dès ce 6 janvier, elle prévoit une première adjudication de Bons du Trésor (BTF), des titres de créance à court terme. Quelques jours plus tard, elle mettra sur le marché des Obligations assimilables du Trésor (OAT), qui attirent généralement les investisseurs institutionnels en raison de leur maturité plus longue. De telles émissions s’insèrent dans une stratégie bien rodée, articulée autour de trois principes fondamentaux : prévisibilité, régularité et flexibilité. Chaque semaine, l’offre de titres est ajustée en fonction de la demande, afin d’assurer une liquidité optimale sur le marché.
Toutefois, l’exercice s’annonce plus périlleux que les années précédentes. La France prévoit d’emprunter 300 milliards d’euros en 2025, un niveau historique qui dépasse même celui de l’Italie, pourtant souvent citée parmi les pays les plus endettés de la zone euro. Ce montant marque une hausse notable par rapport aux 285 milliards d’euros levés en 2024. Selon un communiqué officiel, l’AFT n’exclut pas d’ajuster ce besoin de financement au cours de l’année, en fonction des arbitrages budgétaires à venir. Cette incertitude reflète une situation économique et politique particulièrement tendue, dans laquelle l’État doit assumer des dépenses croissantes en vue de maîtriser ses déficits.
La crise politique qui secoue la France accentue encore la fragilité du cadre budgétaire. Ainsi, la chute du gouvernement Barnier a laissé le pays sans budget voté pour 2025, ce qui oblige l’exécutif à adopter une loi spéciale d’urgence afin de garantir la continuité du financement public. Si cette mesure permet temporairement de maintenir les émissions obligataires, elle ne rassure pas totalement les investisseurs, qui scrutent avec inquiétude l’absence de visibilité sur la trajectoire budgétaire.
Depuis la dissolution, les taux d’emprunt français n’ont cessé de grimper, ce qui entraîne un élargissement du spread avec l’Allemagne. Cet écart, désormais supérieur à 80 points de base, a doublé en un an, ce qui illustre la méfiance croissante des marchés vis-à-vis de la dette française. À ce stade, Bercy doit impérativement convaincre que la situation reste sous contrôle, faute de quoi le coût de financement de l’État pourrait s’alourdir encore davantage.
Des marchés fébriles face à l’incertitude politique
Si la dette française conserve une forte attractivité auprès des investisseurs, l’incertitude budgétaire commence à peser sur le marché. L’absence de visibilité sur les finances publiques incite à davantage de prudence, en particulier chez les acteurs institutionnels. Antoine Deruennes, directeur général de l’Agence France Trésor (AFT), tente néanmoins de rassurer. « Nous allons continuer de nous appuyer sur les mêmes principes, qui ont fait notre succès », affirme-t-il. De plus, il souligne la capacité de l’institution à s’adapter aux conditions de marché. Pour préserver la confiance des investisseurs, l’AFT mise sur une stratégie éprouvée, fondée sur la régularité des émissions obligataires. Chaque semaine, des adjudications de Bons du Trésor (BTF) sont organisées, tandis que les Obligations assimilables du Trésor (OAT) sont proposées toutes les deux semaines. Une telle approche vise à garantir une liquidité adéquate et à offrir aux acheteurs une prévisibilité maximale sur le calendrier d’émission.
Toutefois, des signaux critiques émergent. Certains investisseurs étrangers, notamment en Asie, réduisent leur exposition à la dette française. Le désengagement progressif pourrait accentuer la pression sur les taux d’emprunt, ce qui contraint l’État à financer sa dette à un coût plus élevé. Christopher Dembik, conseiller économique chez Pictet AM, relativise cependant le risque d’un choc brutal. « Un scénario de panique, où la demande ne serait pas suffisante, reste peu probable, mais le coût de financement risque d’être plus élevé », analyse-t-il. Si cette hausse des taux se confirme, elle entraînera une augmentation mécanique du poids de la dette et réduira encore davantage la marge de manœuvre budgétaire de la France.
Dans les coulisses, les opérateurs de marché surveillent l’évolution des émissions avec une attention accrue. En 2024, l’AFT avait réussi à boucler ses emprunts à un taux moyen de 3,06 %, légèrement inférieur aux 3,16 % enregistrés en 2023. Toutefois, l’année 2025 pourrait inverser cette tendance et marquer un virage dans la trajectoire financière du pays. La confiance des investisseurs dépendra en grande partie des décisions budgétaires prises dans les prochains mois. À mesure que les négociations autour du futur budget avancent, les marchés attendent des signaux clairs sur la capacité de l’État à stabiliser ses finances. Faute d’engagements crédibles, la dette française pourrait devenir un fardeau plus coûteux que prévu, avec des répercussions durables sur l’économie du pays.
La menace d’une hausse durable des taux d’intérêt provoque de vives préoccupations, aussi bien chez les économistes que dans les cercles politiques. Jusqu’à présent, la France parvient à se financer sans difficulté, mais une détérioration prolongée du climat de marché pourrait rapidement réduire sa marge de manœuvre budgétaire. Cette situation dépasse les frontières nationales. Une montée des tensions sur la dette française fragiliserait l’ensemble de la zone euro, ce qui exposerait ses partenaires à un risque de contagion. Malgré ces incertitudes, l’État adopte un discours qui rassure et mise sur la stabilité de sa stratégie d’émission. Toutefois, cette posture ne suffira pas indéfiniment. Plus l’année avancera, plus les investisseurs exigeront des engagements clairs sur la trajectoire budgétaire du pays. Sans réponse crédible, la dette pourrait rapidement se transformer en un fardeau bien plus coûteux, avec des conséquences lourdes sur l’économie française et la confiance des marchés.
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Diplômé de Sciences Po Toulouse et titulaire d'une certification consultant blockchain délivrée par Alyra, j'ai rejoint l'aventure Cointribune en 2019. Convaincu du potentiel de la blockchain pour transformer de nombreux secteurs de l'économie, j'ai pris l'engagement de sensibiliser et d'informer le grand public sur cet écosystème en constante évolution. Mon objectif est de permettre à chacun de mieux comprendre la blockchain et de saisir les opportunités qu'elle offre. Je m'efforce chaque jour de fournir une analyse objective de l'actualité, de décrypter les tendances du marché, de relayer les dernières innovations technologiques et de mettre en perspective les enjeux économiques et sociétaux de cette révolution en marche.
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