Cryptomonnaies : Pourquoi les gardiens de l'économie traditionnelle s'inquiètent ?
Dans le tumulte incessant des marchés financiers, une nouvelle forme de monnaie a émergé, défiant les conventions et remettant en question les fondements mêmes de l’économie traditionnelle : la cryptomonnaie. Avec son ascension fulgurante, elle a captivé l’investisseur aventureux, intrigué le technophile et, plus significativement, provoqué l’ire des économistes établis. Ces derniers, gardiens de la vieille garde de la finance, voient dans le Bitcoin, l’Ethereum et leurs semblables, non pas l’innovation, mais une perturbation indésirable du système monétaire qu’ils ont si méticuleusement construit et maintenu.
Cet article se propose de plonger au cœur de cette aversion. Pourquoi les économistes, ces pilotes de la grande machine macroéconomique, sont-ils si réticents, voire hostiles, à l’égard des utilisateurs et des principes des cryptos ? Est-ce une simple peur de l’inconnu, une méconnaissance de la technologie blockchain, ou y a-t-il des raisons plus profondes et fondamentales à cette défiance ?
Nous explorerons les arguments des figures telles qu’Agustín Carstens, Luis Garicano et Christine Lagarde, qui ont publiquement exprimé leur scepticisme. Nous examinerons comment les cryptomonnaies remettent en question les trois fonctions traditionnelles de la monnaie : comme moyen d’échange, comme réserve de valeur et comme unité de compte. Enfin, nous réfléchirons aux implications d’une possible transition vers un monde où la monnaie numérique pourrait coexister, voire supplanter, la monnaie fiduciaire.
Le point de vue des économistes
L’économie traditionnelle repose sur des principes bien établis, avec une attention particulière portée à la gestion des fluctuations économiques par des politiques fiscales ou monétaires. Les économistes « traditionnels » voient dans la politique monétaire un outil essentiel pour stabiliser l’économie. Ils s’appuient sur des exemples historiques, comme la Grande Dépression, pour illustrer les dangers d’une monnaie non flexible. Les cryptos, avec leur offre parfois limitée et leur indépendance vis-à-vis des banques centrales, semblent réintroduire des problématiques similaires à celles d’un étalon-or, limitant ainsi la capacité des gouvernements à répondre aux crises économiques.
Pour cette raison donc, et bien d’autres encore, plusieurs économistes et banquiers centraux de premier plan ont exprimé des critiques sévères à l’égard des cryptomonnaies. Par exemple, Agustín Carstens, directeur général de la Banque des règlements internationaux depuis 2017, considère le Bitcoin comme une menace pour la monnaie fiduciaire, et craint qu’il ne sape la capacité des banques centrales à mener une politique monétaire efficace. L’économiste et homme politique espagnol Luis Garicano, quant à lui, remet en question l’utilité des cryptos en tant que moyen de paiement, réserve de valeur et unité de compte, soulignant leur volatilité et leur manque d’acceptation généralisée.
En France, des figures telles que Thomas Piketty, économiste renommé pour ses travaux sur les inégalités de richesse, ont exprimé des réserves quant à l’utilisation des cryptomonnaies. Piketty souligne souvent l’importance de la régulation financière pour prévenir les inégalités, une position qui peut entrer en conflit avec la nature décentralisée et largement non régulée des cryptos. Une autre personnalité française, Jean Tirole, lauréat du prix Nobel d’économie, s’est également prononcé sur le sujet des cryptomonnaies. Bien qu’il reconnaisse l’innovation technologique derrière elles, Tirole reste sceptique quant à leur utilité en tant que monnaie et souligne les risques potentiels qu’elles représentent pour la stabilité financière.
Ces critiques mettent en lumière une inquiétude profonde quant à la capacité des cryptos à remplacer ou à coexister avec les monnaies traditionnelles. En effet, la technologie blockchain, bien que prometteuse, est souvent mal comprise par les économistes traditionnels. Elle représente un changement radical par rapport aux systèmes financiers établis, suscitant des inquiétudes quant à sa stabilité et sa sécurité. Les économistes sont particulièrement préoccupés par les implications de cette technologie sur la politique monétaire et la régulation financière. Leur méfiance est souvent exacerbée par un manque de compréhension technique de la blockchain, ce qui rend difficile l’évaluation de son impact potentiel sur l’économie globale.
Par ailleurs, ces économistes, en tant que conseillers des banques centrales et d’autres institutions financières, influencent des aspects clés de l’économie, tels que les taux d’intérêt et la gestion de la dette. Les cryptomonnaies, en opérant en dehors du système financier traditionnel, pourraient réduire cette influence, et questionner le rôle des économistes dans la régulation économique. Cette perte potentielle de contrôle est une source majeure de résistance.
Les cryptos et la remise en question du système
Par ailleurs, les cryptomonnaies, de par leur essence même, provoquent une remise en question profonde des trois fonctions traditionnelles de la monnaie, telles qu’énoncées par Aristote : moyen d’échange, réserve de valeur, et unité de compte. Leur volatilité et leur acceptation limitée posent des défis en tant que moyen d’échange fiable. En tant que réserve de valeur, elles sont souvent perçues comme spéculatives et instables, contrastant avec la stabilité relative des monnaies fiduciaires. Enfin, leur utilisation comme unité de compte est entravée par leur manque d’universalité et de reconnaissance officielle.
Alors que la monnaie fiduciaire est fondée sur un contrat social basé sur la confiance dans les institutions émettrices, comme les banques centrales et les gouvernements, les cryptomonnaies, en revanche, fonctionnent sur un modèle sans confiance, s’appuyant sur la technologie blockchain pour assurer la sécurité et la transparence. Cette approche remet en question le rôle traditionnel des institutions financières et gouvernementales dans la création et la régulation de la monnaie.
L’adoption croissante des cryptos pourrait avoir des implications significatives sur les politiques économiques, notamment en matière de contrôle de la masse monétaire et de la politique monétaire. En effet, leur nature décentralisée limite la capacité des gouvernements et des banques centrales à intervenir dans l’économie par le biais de la manipulation monétaire. Cela soulève des questions sur la souveraineté monétaire et la capacité des États à réguler leurs économies dans un monde où les cryptomonnaies gagnent en popularité.
Malgré toutes ces réserves des économistes traditionnels, une exploration objective des cryptos révèle pourtant un potentiel notable en termes d’inclusion financière. Cette facette, souvent éclipsée par les débats sur la volatilité et la régulation, mérite une attention particulière. Elle représente une opportunité, même pour les sceptiques, de repenser l’accès aux services financiers dans un contexte global
Cryptomonnaies et Inclusion Financière : Vers un monde plus équitable ?
L’inclusion financière est un concept clé dans le développement économique mondial, visant à offrir un accès équitable aux services financiers pour tous, en particulier dans les régions sous-développées ou en développement. Selon la Banque mondiale, environ 1,4 milliard de personnes étaient non bancarisées en 2023, ce qui représente un défi majeur pour l’équité économique globale. L’accès aux services financiers est crucial car il permet aux individus de gérer leurs revenus, d’épargner pour l’avenir, d’investir dans des opportunités éducatives ou entrepreneuriales, et de se protéger contre les risques financiers.
En premier lieu, les cryptomonnaies, avec leur nature décentralisée, offrent une opportunité unique de répondre à ce défi. Elles permettent des transactions financières sans nécessiter une infrastructure bancaire traditionnelle, ce qui est particulièrement pertinent dans les régions où les services bancaires sont limités ou inexistants. Les cryptos peuvent faciliter des transactions sécurisées, rapides et à moindre coût, ce qui est essentiel pour les populations vivant dans des zones reculées ou sous-développées.
Ensuite, la technologie blockchain, qui sous-tend les cryptos, offre une transparence et une sécurité accrues, qui réduit les risques de fraude et de corruption, souvent associés aux systèmes financiers traditionnels dans les régions moins développées. De plus, l’accès aux cryptos se fait généralement via des smartphones ou des ordinateurs, rendant les services financiers plus accessibles pour ceux qui ont un accès limité aux banques physiques.
L’intégration des cryptomonnaies dans les systèmes financiers peut stimuler l’économie locale en facilitant les échanges commerciaux, en permettant des transferts de fonds transfrontaliers plus efficaces, et en offrant de nouvelles opportunités d’investissement. Cela peut conduire à une augmentation de l’activité économique et à une amélioration des conditions de vie dans les régions sous-développées.
Pour illustrer tout ce qui précède, un exemple frappant est celui du Bitcoin au Nigeria, où, malgré une réglementation gouvernementale stricte, l’utilisation de Bitcoin continue de croître, en particulier parmi les jeunes et les entrepreneurs. Cela est dû en partie à la facilité d’envoyer et de recevoir des paiements internationaux, une fonctionnalité essentielle dans un pays avec une forte diaspora. De même, au Venezuela, où l’inflation galopante a érodé la confiance dans la monnaie locale, le Bitcoin et d’autres cryptomonnaies sont devenus des moyens populaires pour stocker de la valeur et effectuer des transactions quotidiennes. Bien sûr, l’adoption des cryptos dans ces régions n’est pas sans défis. La volatilité des prix, la complexité technologique et les problèmes de sécurité sont des préoccupations majeures. Cependant, des solutions émergent, telles que l’utilisation de stablecoins liés à des monnaies fiduciaires pour réduire la volatilité, et des initiatives éducatives pour améliorer la compréhension et la gestion sécurisée des actifs numériques.
Conclusion
En conclusion, les cryptos, au-delà de leur nature disruptive, présentent un potentiel considérable pour remodeler les aspects fondamentaux de notre système économique mondial. Que ce soit en défiant les paradigmes monétaires traditionnels ou en offrant des avenues d’inclusion financière inexplorées, elles invitent à une réflexion profonde sur l’avenir de l’économie. Cependant, pour réaliser pleinement leur potentiel, une compréhension équilibrée de leurs avantages et inconvénients est cruciale. Il est donc impératif pour les économistes, régulateurs et décideurs d’embrasser à la fois la prudence et l’ouverture d’esprit face à cette évolution technologique. Les cryptomonnaies ne sont pas seulement une innovation financière ; elles représentent une opportunité de repenser l’équité et l’accessibilité dans le monde financier global.
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Diplômé de Sciences Po Toulouse et titulaire d'une certification consultant blockchain délivrée par Alyra, j'ai rejoint l'aventure Cointribune en 2019. Convaincu du potentiel de la blockchain pour transformer de nombreux secteurs de l'économie, j'ai pris l'engagement de sensibiliser et d'informer le grand public sur cet écosystème en constante évolution. Mon objectif est de permettre à chacun de mieux comprendre la blockchain et de saisir les opportunités qu'elle offre. Je m'efforce chaque jour de fournir une analyse objective de l'actualité, de décrypter les tendances du marché, de relayer les dernières innovations technologiques et de mettre en perspective les enjeux économiques et sociétaux de cette révolution en marche.
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