Enquête : Et si la CIA avait créé Bitcoin ?
Et si la CIA avait créé Bitcoin en 2009 ? L’origine floue de la première des cryptomonnaies laisse libre cours aux fantasmes les plus fous. Faut-il accorder du crédit à la thèse d’un projet de l’agence de renseignement américaine ? Satoshi Nakamoto pourrait-il être un agent américain ? Quelques éléments sèment le doute.
L’histoire de Bitcoin : trop beau pour être vrai ?
Satoshi Nakamoto, cypherpunk en quête de liberté, mathématicien de génie et activiste de la vie privée, créé Bitcoin en 2009. Par la suite, il se sépare volontairement des milliers de bitcoins contenus dans ses portefeuilles, par altruisme et pour que vive l’utopie d’une cryptomonnaie peer-to-peer sans tiers de confiance. L’histoire pourrait figurer dans les contes pour enfants tellement elle est belle. La minisérie Le mystère Satoshi Nakamoto (Arte, 2021) réalisée par Rémi Forte contribue à construire cet imaginaire mythique. Pour les besoins du film, Satoshi y est représenté comme un hackeur solitaire.
Bien entendu, le mystère qui entoure la création de Bitcoin a fait couler beaucoup d’encre. Selon certains, Satoshi serait plutôt un groupe de personnes, un collectif d’activistes cypherpunk, et non un modeste programmeur isolé. Ou encore : Satoshi serait mort peu après sa création, emportant avec lui ses secrets. Cela rendrait d’autant plus solide le réseau Bitcoin, inattaquable, car sans tête, « acéphale » (voir à ce sujet le livre La Monnaie Acéphale).
Les portefeuilles oubliés de Satoshi Nakamoto, la menace fantôme
En théorie pourtant, Satoshi Nakamoto posséderait toujours 1 million de bitcoins, soit l’équivalent de plus de 10 milliards de dollars. Face à un tel pouvoir, un tel poids économique, l’opacité devient problématique. Si on suppose que le créateur de Bitcoin est effectivement mort en emportant avec lui ses clés, l’histoire est réglée. Mais en-est-on sûr ? Ce qui n’était au départ qu’une expérience a pris une telle ampleur qu’il est aujourd’hui difficile de ne pas prendre en compte cette menace.
Certains observateurs estiment cependant que cette incertitude est toute relative. Bitcoin est désormais trop important pour être compromis : too big to fall. Même avec une réapparition miraculeuse des portefeuilles perdus, cela ne tuerait pas le réseau : la résilience et la décentralisation de la blockchain Bitcoin suffirait à la préserver de cette éventualité.
C’est ce qu’explique Kevin Loac, développeur qui travaille sur le protocole : « On ne considère pas les coins de Satoshi comme étant à risque. Si quelqu’un les vend, ça ne pose pas de problèmes, ça fera des bitcoins moins chers. Ce n’est pas un problème que ce soit un État, ou un trader [qui soit à l’origine de Bitcoin]. On pourrait même imaginer que la NSA ait créé Bitcoin. Ça ne nous pose aucun problème, c’est open source. » Certes, d’un point de vue purement « développeur », cet argument est recevable. Mais ne mérite-t-on pas de connaître tout de même l’origine exacte du protocole cryptographique le plus célèbre du monde ?
L’identité de Satoshi
L’identité de Satoshi est l’objet de nombreuses théories. Plusieurs prétendants se bousculent pour le titre d’inventeur du Bitcoin : Nick Szabo, Hal Finney et quelques autres personnes du monde de la cryptographie sont de sérieux candidats. Les quelques indices laissés ici et là dans le livre blanc, ou bien les mails signés au nom de Satoshi Nakamoto, ne suffisent pas à relier Bitcoin à une personne. Toutefois, peu importe l’identité réelle du (ou des) créateur(s) de Bitcoin, l’enjeu n’est pas là. En revanche, il est légitime de savoir si le réseau Bitcoin est aujourd’hui exempt de toute influence extérieure.
Les États-Unis, au cœur des théories du complot
Les théories du complot qui entourent les services secrets américains sont nombreuses. Il faut dire que l’opacité de leurs activités n’aide pas à invalider certaines de ces hypothèses. Les documents déclassifiés ou ayant fuité des agences de renseignement alimentent régulièrement les thèses conspirationnistes. On pense à WikiLeaks, qui avait -entre autre- révélé les exactions de l’armée américaine durant la guerre en Irak. Julien Assange, le fondateur de la plateforme, avait d’ailleurs reçu des dons en bitcoins en guise de soutien. Exilé au Royaume-Uni depuis 2010, les États-Unis usent de pressions pour son extradition. Cela, en dépit du droit international et des inquiétudes concernant les tortures qu’il pourrait subir en Amérique.
Dans le même registre, les révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden à propos du programme de surveillance de la NSA (une autre agence de renseignement américaine) n’arrangent rien au tableau. La paranoïa de certains détracteurs du bitcoin et des cryptomonnaies puise de toute évidence dans ces récentes affaires. Une chose est certaine : les États-Unis s’intéressent de près aux technologies numériques et aux outils de surveillance. La blockchain entre dans ce cadre, en raison de ses propriétés en matière de traçabilité. De là à dire que Bitcoin est directement piloté par le pentagone, il y a un fossé. Mais la CIA n’aurait-elle tout de même pas pu jouer un rôle dans l’existence de Bitcoin ?
L’avant Bitcoin : quand la CIA et la NSA travaillaient sur des prototypes de cryptomonnaies
Il est certain que la création de Bitcoin, de la blockchain et du mécanisme de la preuve de travail n’est pas l’œuvre d’un seul homme. Ces innovations sont l’héritage logique des nombreux travaux en cryptographie : une discipline qui existe depuis plus de 20 ans. À ce propos, la guerre froide a fortement stimulé les besoins en matière de cryptages des données informatiques. Comme souvent avec les technologies de communication ou de transmission, la cryptographie est donc d’origine militaire. Plusieurs sources indiquent que les agences américaines travaillent depuis longtemps sur des systèmes d’échanges de valeurs numériques semblables à celui du bitcoin. À ce titre, la NSA planche dès 1995 sur une solution de « cryptomonnaie ». Encore du grain à moudre pour les amateurs de la théorie selon laquelle Bitcoin aurait été créé par une agence de renseignement.
L’agence américaine rédige en 1996 un rapport intitulé How To Make A Mint : The Cryptography Of Anonymous Electronic Cash. L’article décrit un système très proche de Bitcoin, dans lequel des transactions financières sécurisées ont lieu grâce à l’utilisation d’un réseau décentralisé. L’article fait référence à David Chaum, l’un des premiers acteurs des transactions financières numériques anonymes. Chaum a en effet développé le Ecash dès 1983. Bien avant même le succès du protocole internet World Wide Web. Trop en avance ?
Bitcoin, le cheval de Troie monétaire
En 1998, un autre rapport de la jeune banque centrale européenne (BCE) fait mention d’une « monnaie électronique ». Vous l’aurez compris, la liste est longue. Elle fournit des arguments aux partisans de la thèse selon laquelle un projet gouvernemental est à l’origine du BTC. Sur Pastebin, un anonyme écrit un post au titre équivoque : Bitcoin is CIA. Pour lui, la chute du dollar étant inévitable, les Américains feraient en sorte d’emporter avec eux les autres devises de leurs rivaux, en introduisant un cheval de Troie dans l’économie mondiale : Bitcoin. En outre, l’internaute n’hésite pas à qualifier la cryptomonnaie de pyramide de ponzi.
Une rencontre avec la CIA peu après la disparition de Satoshi Nakamoto
Une des indications les plus concrètes de l’intérêt de la CIA pour Bitcoin est un post sur le forum BitcoinTalks. Un lieu d’échanges fréquenté à l’époque par un petit cercle de cryptographes passionnés. Dans un souci de transparence, Gavin Andresen annonce en avril 2011 se rendre à une conférence organisée par la CIA à propos des technologies émergentes. Il s’y rend pour parler du Bitcoin. Étrangement, le dernier message de Satoshi Nakamoto intervient peu avant cet épisode, en décembre 2010. Cette coïncidence est relevée par Pete Rizzo, journaliste qui écrit notamment pour Forbes et Bitcoin Magazine.
« Les gars, faites attention, si nous n’avons plus de nouvelles de Gavin dans les prochaines semaines, il pourrait être à Guantanamo Bay. » ironise d’ailleurs un membre du forum, en faisant référence à la prison militaire de haute sécurité américaine, Guantánamo. Heureusement, il n’est rien arrivé à Gavin, qui a par ailleurs choisi de rester aujourd’hui en retrait du protocole Bitcoin.
Bitcoin pourrait aussi être simplement un « side project » d’un employé de la CIA ou de la NSA. Dans cette hypothèse, il y a une possibilité que Satoshi Nakamoto ait été rappelé à l’ordre par son employeur. Dès lors, Bitcoin pourrait-il être une opposition contrôlée numérique ? Ce ne serait pas une première. En effet, dès 2013, le Guardian révèle que le projet TOR, un réseau informatique anonyme, est sous surveillance. La NSA contrôlerait un certain nombre de nœuds, les serveurs qui permettent une navigation anonyme sur le réseau décentralisé. Un précédent qui ouvre la voie à toutes les possibilités.
Le bitcoin, un enjeu stratégique dans le viseur des États
Un phénomène comme celui du bitcoin intéresse donc très certainement les agences de renseignement du monde entier, et pas simplement américaine. Rien que pour des questions très concrètes : lutter contre le détournement de fond, ou le financement des opérations militaires. Récemment, la guerre en Ukraine a permis de tester la capacité des cryptomonnaies à contourner les sanctions sur les réseaux bancaires classiques. Un test réussi : l’Ukraine a bénéficié d’importants dons en bitcoins. D’un autre côté, la Russie a également pu profiter des cryptos pour passer outre les embargos.
Ainsi, la CIA n’est sûrement pas la seule organisation gouvernementale à étudier les cryptomonnaies et la technologie blockchain. On voit mal les services secrets du monde entier passer à côté d’un enjeu aussi important. En France, la DGSE recrute régulièrement des crypto-mathématiciens pour décoder la blockchain.
Conclusion
Satoshi Nakamoto est-il un agent de la CIA ou de la NSA ? Bitcoin est-il un cheval de Troie au service d’intérêts gouvernementaux ? Ou bien est-ce cette utopie révolutionnaire pouvant redistribuer le pouvoir monétaire à travers le monde ? À vous de juger. Mais au-delà des coïncidences, il est peu probable que la CIA soit à l’origine du bitcoin. En revanche, elle entretient une paternité indirecte, mais certaine avec le projet. Les développeurs originels de Bitcoin étaient des cryptographes experts. À ce titre, ils devaient travaillaient avec des organismes liés à la défense et la cybersécurité. Mais tout comme Internet, Bitcoin échappe aujourd’hui largement aux acteurs gouvernementaux. Car la première des cryptomonnaies semble désormais créer sa propre voie, forte d’une communauté toujours plus nombreuse.
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Les cryptomonnaies et le bitcoin constituent un phénomène culturel et politique à part entière. Du mouvement cypherpunk en passant par le crypto-art, je documente ces tendances qui repoussent toujours plus loin les frontières de l’économie traditionnelle.
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