Ce que le bitcoin sera et ne sera pas
Quel destin pour le bitcoin ? Comment va-t-il s’imbriquer à la civilisation ? Peut-il vraiment remplacer les banques ?
Bitcoin vs Fiat
Le bitcoin peut-il se substituer entièrement au système monétaire actuel ? Beaucoup en doutent et le voient plutôt comme une réserve de valeur. De l’or, en beaucoup mieux.
L’argument imparable est que sa volatilité en fait une piètre monnaie pour huiler le système économique. Il faudrait donc à minima qu’il remplace complètement la monnaie fiat. Admettons que les gouvernements ne s’y opposent pas. Faisons l’expérience de pensée.
La première chose à dire est que ce ne pourrait être qu’un long processus. Avec un débit de 7 transactions par seconde, il faudrait 36 ans pour que les huit milliards d’êtres humains puissent chacun réaliser une seule transaction en bitcoin.
Se pose ensuite la question de l’emprunt. Actuellement, les banques créent la monnaie ex nihilo au moment des prêts. Cette monnaie est ensuite détruite lors des remboursements. Cette élasticité ne serait pas possible avec le bitcoin puisque sa masse monétaire est fixée à 21 millions d’unités.
On devine alors intuitivement que l’accès au crédit serait grandement réduit. C’est mathématique. Par ailleurs, ceux qui prêteraient leurs bitcoins seraient obligés d’attendre la fin du prêt pour retrouver leurs billes. Embêtant. Il est également certain que les taux d’intérêts seraient bien plus élevés qu’avec le système fiat. La loi de l’offre et de la demande est implacable.
Imaginons maintenant que nous voulions construire trois réacteurs nucléaires. En France, c’est 50 milliards. Puisque cet argent ne peut être créé ex nihilo, il faudrait littéralement faire du porte-à-porte et persuader 5 millions de français de prêter 10 000 euros chacun pour 20 ans.
Difficile, voire impossible. En outre, qui acceptera de prêter son argent sans pouvoir en revoir la couleur avant une ou deux décennies ? Un tel système serait laborieux.
Le système fiat n’a pas dit son dernier mot
Une société complexe doit pouvoir créer de l’argent ex nihilo, sans quoi le développement économique serait extrêmement lent. L’outil de la dette est la pierre angulaire des civilisations avancées.
Problème, ce système est de plus en plus inflationniste. Contrairement au bitcoin, le pouvoir d’achat de la monnaie fiat ne cesse de baisser. Même les nations avancées ne sont plus épargnées. L’inflation fut de 25 % de part et d’autre de l’Atlantique au cours des trois dernières années. C’est un record vieux d’un demi-siècle !
La dérive de la dette par rapport au PIB est un autre marqueur qui clignote rouge. La dette publique américaine est passée de 35 % du PIB en 1971 à 135 % du PIB aujourd’hui. La trajectoire est similaire en Europe et bien pire au Japon avec un ratio de 260 %.
La dette américaine est passée de 1 000 à 35 000 milliards de dollars en l’espace de quarante ans. Depuis 2020, elle est passée de 23 à 35 milliards de dollars, soit une augmentation de 50 %.
Voici le résultat d’une augmentation annuelle d’environ 7 % de la masse monétaire (et donc de la dette totale) :
Cette courbe pourrait laisser penser aux non-initiés que la gabegie budgétaire date des années 1970. Absolument pas. L’allure parfaitement exponentielle de cette courbe signale au contraire que la masse monétaire augmente inlassablement de 7 % tous les ans depuis les années 1930. Dit autrement, la croissance de l’endettement des années 1930 était exactement la même que dans les années 1970 ou dans les années 2000.
Maintenant que l’on a dit ça, il faut aussi être honnête en disant que la taille de la dette n’est pas un problème à condition que l’on puisse mettre de la croissance en face. Problème, nous n’y arrivons plus. La dette progresse beaucoup plus rapidement que le PIB.
Ponzinomics
Les promesses électorales coûtent cher. On estime que les dépenses non provisionnées du système retraite américain représentent 80 000 milliards de dollars pour les 75 prochaines années. « Non provisionné » signifie que les recettes de l’État américain ne seront pas suffisantes et qu’il faudra payer la facture avec de la dette.
Le déficit démographique explique en bonne partie cette situation, mais il est toujours possible de le compenser par l’immigration. Le cœur du problème est en réalité physique. Notre capacité à produire n’est plus en phase avec le ponzi qu’est le système monétaire moderne.
Créer la totalité de la monnaie à partir de prêts servant des intérêts est un système de ponzi. De la même manière qu’il faut pédaler sans arrêt pour ne pas tomber de son vélo, la masse monétaire doit perpétuellement augmenter pour que l’édifice tienne debout.
Ce n’est pas difficile à comprendre. Concrètement, le volume de nouveaux prêts doit toujours excéder le volume de prêts remboursés. Pourquoi ? Pour que chaque emprunteur puisse mathématiquement trouver assez d’argent dans le magma de l’économie pour rembourser son prêt PLUS les intérêts ! Et comme chacun sait, les intérêts sont loin d’être une bagatelle.
En clair, augmenter en permanence la masse monétaire est une nécessité comptable. « You can’t taper a ponzi », comme dirait l’autre. Ce système est ni bien ni mal. L’humanité n’a tout simplement pas trouvé mieux pour organiser la civilisation et croitre le plus rapidement possible.
Malheureusement, augmenter la masse monétaire de x % chaque année est un processus exponentiel. Or la production économique ne peut pas être exponentielle. Nous ne pouvons pas extraire toujours plus de ressources sur une planète finie.
Voilà pourquoi les salaires ne suivent plus l’inflation. C’est inévitable si la productivité (la quantité de choses produites par personne) progresse moins vite que la masse monétaire.
Or, la faible croissance de la productivité (et donc du PIB) provient de la raréfaction énergétique. Explication.
Économie = Énergie
Aucun pays riche consomme peu d’énergie. Cela n’existe pas. L’économie, c’est du transport et de la transformation de matières premières en produits finis. Tout cela requiert de l’énergie, et pas n’importe quelle énergie.
Plus de 95 % du transport mondial fonctionne au pétrole. La croissance économique serait impossible sans augmentation permanente du nombre de camions qui sillonnent le monde. Il y en a déjà plusieurs centaines de millions. Le voilà le grand coupable : le pétrole.
On entend souvent dans la bouche des économistes « autrichiens » que la fin du Gold Standard (1971) serait à l’origine du mal. C’est un mythe. Il suffit pour s’en persuader de se rappeler que la masse monétaire croît monotonement de 7 % par an depuis les années 1930.
La vérité est ailleurs, sous nos pieds exactement. 1971 fut une année charnière à cause du pic de la production pétrolière américaine. C’est à partir de cette année précisément que l’on observe une rupture de tendance claire du taux de croissance de la production mondiale de pétrole. Ce taux passa de 7 % par an à 1.3 % :
Ce ralentissement de la croissance de la production de pétrole a limité en retour le potentiel de croissance du transport, de l’économie, et in fine des salaires.
Salaires = Productivité = Machines = Énergie (et surtout du pétrole)
Une production qui ne peut plus suivre le ponzi monétaire se traduit par une inflation plus rapide que la hausse des salaires. Problème, la masse monétaire a continué (et doit continuer) d’augmenter de 7 % par an…
Le pic d’Hubbert
Le premier scientifique ayant eu l’audace de nous mettre en garde contre la déplétion énergétique fut le géophysicien Hubbert. Il est surtout connu pour le concept de « pic ». Sa méthode permet de prédire le pic de production d’un gisement de pétrole.
Rétrospectivement, il s’avère que ses prédictions furent erronées, mais seulement à cause de grandes découvertes de gisements de pétrole. La « science » du pic reste valide.
Le pic de production de pétrole des États-Unis date de 1971 (à 10 millions de barils par jour). Depuis, leur production n’a cessé de décliner. M. Hubbert avait prédit ce pic avec une précision remarquable 14 ans auparavant dans un discours prononcé lors du diner annuel de l’American Petroleum Institute.
En 1976, la production des États-Unis avait déjà chuté de 15 %. Ce fut alors le début des importations de pétrole (et du pétrodollar, mais c’est une autre histoire…). Entre 1970 et 1976, les importations nettes des États-Unis feront plus que doubler, passant de 3,4 millions à près de 8 millions de barils par jour.
C’est à cette époque que le prix du baril changea du tout au tout, amorçant la fin des trente glorieuses. Alors quasiment gratuite, l’énergie devint payante…
There will be blood
Le prix du baril sera multiplié par dix dans les années 1970. Le naphte s’envola au-dessus de 30 dollars à la faveur du pic américain et de deux crises pétrolières distinctes. L’embargo arabe de 1973 et la révolution iranienne de 1979.
Les prix triplèrent après seulement six mois d’embargo. Il s’agissait de représailles au soutien américain en faveur d’Israël durant la guerre du Kippour. Les prix doublèrent encore dans le sillage de la révolution iranienne. Le prix du baril sera multiplié par 10 en l’espace d’une décennie seulement.
Une telle inflation serait impossible aujourd’hui, ce qui confirme que le pétrole était quasiment gratuit avant 1971. C’est cette énergie bon marché qui permit de décupler les gains de productivité immenses à l’origine des trente glorieuses.
Au cours des deux décennies suivantes, les deux sources les plus importantes de croissance de l’offre de pétrole (hors OPEP) furent la mer du Nord et le gisement mexicain de Cantarell. Les deux montèrent en puissance au début des années 1980 pour atteindre ensemble 7 millions de b/j en 2004, soit 60 % de la croissance mondiale (hors OPEP).
Mais tout a une fin. Leur production se mit à décliner en 2004. Conséquence, le prix du baril fut encore multiplié par dix dans les années 2000. Cette inflation mena tout droit à la crise des subprimes, ou devrions-nous dire, la crise du pic mondial de pétrole conventionnel (celui qui est peu cher à sortir de terre) franchi en 2006.
Nous nous sommes sortis de l’ornière grâce au pétrole de schiste américain que la hausse des prix a rendu économiquement exploitable. Les États-Unis sont depuis redevenus le premier producteur de pétrole mondial :
Bref, non seulement le pétrole coute de plus en plus cher à extraire, mais nous n’arrivons plus à augmenter la production, ce qui limite la croissance du PIB. Le pic global semble avoir été atteint en novembre 2018…
Pic = Inflation => bitcoin
Les États-Unis ont fourni près de 90 % de la croissance totale de l’offre mondiale (hors OPEP) au cours des treize dernières années. C’est-à-dire bien plus que ce qu’ils avaient fourni au cours de la période précédant 1970 ou que la mer du Nord et le Mexique ont fourni au cours de la période précédant 2004.
Le cabinet d’études Goehring & Rozencwajg suggère qu’à l’instar des États-Unis en 1970 et de la mer du Nord et du Mexique en 2004, la production de pétrole de schiste américaine est sur le point de décliner :
« Nos modèles d’IA combinés avec les enseignements de Hubbert nous incitent à penser que les gisements de pétrole de schiste ont produit plus de la moitié de leurs réserves récupérables. Si notre modélisation est correcte, des déceptions quant au niveau de production approchent à grands pas. La croissance de la production de ces gisements ralentit depuis plusieurs années. Nous sommes à un point d’inflexion similaire à ceux de 1970 et de 2004, mais les investisseurs restent plus complaisants que jamais. »
Les prévisions sont similaires en France. Le Shift Project prédit que la production pétrolière totale des principaux fournisseurs actuels de l’Union européenne va fortement faiblir dans le courant de la décennie 2030. Elle devrait être inférieure de 10 à 20 % comparé au niveau atteint en 2019.
« D’ici à 2050, la production de pétrole des 16 premiers fournisseurs de l’Europe – qui sont aussi les 16 premiers producteurs mondiaux hors Brésil et Canada – devrait être divisée par deux sous seule contrainte géologique. De ce fait, les importations européennes devraient en retour être divisées par quelques chose entre 2 et 10 », prévient Jean-Marc Jancovici.
En somme, le marché pétrolier est sur le point d’entrer à nouveau dans une période similaire à celles de 1971 et de 2004. Il faut donc se préparer à beaucoup plus d’inflation. A moins que l’embargo sur le pétrole iranien ne soit levé ?…
Enter Bitcoin
Peut-être que l’IA et la robotique (et un jour la fusion nucléaire) nous permettront de doper la productivité et ainsi permettre aux salaires de suivre l’inflation générée par le ponzi monétaire. Cela reste pour le moment de l’ordre de l’espoir.
Ou bien peut-être sommes-nous dans le déni. Auquel cas l’inflation monstre de ces dernières années n’est qu’un avant-gout de ce qui nous attend. En l’absence de miracles du côté de la productivité et/ou de l’énergie, il est écrit d’avance que l’inflation va empirer.
Bientôt, des centaines de millions d’individus chercheront une réserve de valeur ayant l’avantage d’être liquide. La masse monétaire absolument finie du bitcoin et sa divisibilité en font le premier choix.
Même les multinationales et les gouvernements commencent à se rendre à l’évidence. Les États-Unis pourraient créer une réserve de bitcoins avant la fin de l’année. Et en France, en Europe ?…
Pour résumer l’ensemble du propos, le bitcoin ne remplacera pas le système monétaire fiat. Il ne taillera pas non plus des croupières à Visa et Mastercard pour les paiements de tous les jours. Pour trois raisons :
-Les frais de conversion et de transaction rendent les transactions en bitcoin non compétitives.
-Le bitcoin étant l’actif le plus désirable de l’univers, il fait sens de le dépenser en dernier.
-Malgré le Lightning Network, la technologie bitcoin ne peut pas servir à huiler l’ensemble des transactions mondiales.
Le bitcoin sera évidemment un moyen de paiement non censurable de dernier recours pour des dizaines de millions de personnes qui, pour x raison, en auront besoin.
Mais le destin du bitcoin est avant tout d’être la réserve de valeur par excellence. Étant compétitif pour les transactions de gros montants, il est par ailleurs taillé pour devenir la prochaine monnaie de réserve internationale.
C’est également l’avis de Michael Saylor qui a récemment déclaré :
« Qu’est-ce qui inquiète les États-Unis ? Que le dollar perde son statut de monnaie de réserve. Où ira l’argent ? Dans le bitcoin. »
A ce propos, ne manquez pas notre article : « La Russie plaide à New York pour la fin du monopole du dollar ».
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