Bitcoin, une révolution morale de la monnaie
À la croisée du champ monétaire et technologique, Bitcoin propose de faire un pas de côté et d’interroger la nature de nos propres monnaies. C’est en cela qu’il est d’ailleurs peut-être le plus révolutionnaire, alors que la monnaie reste depuis le début de l’ère industrielle reléguée à un simple outil neutre, en dehors de tout champ politique, presque “magique”, sujet à des mécanismes autant invisibles que mystérieux.
Visibiliser le rôle de la monnaie
Bitcoin force à braquer les projecteurs sur notre système monétaire actuel. Un système complexe, qui est toutefois loin d’être inaccessible, mais gardé éloigné du champ démocratique. En détournant le pouvoir normalement réservé aux monnaies traditionnelles, Bitcoin met en lumière un système de domination particulièrement injuste. La monnaie, cet outil du quotidien quasiment invisible et pourtant omniprésent dans nos vies, est en effet loin d’être un objet neutre ou inerte.
Bitcoin vs monnaies locales, même combat ?
Le BTC n’est d’ailleurs pas le seul à questionner notre usage monétaire : les monnaies locales, par exemple, en sont une forme de contestation. Bien implantées en France, on en compte pas moins de 80 dans l’hexagone. Elles permettent aux populations de rediriger la monnaie vers des secteurs vertueux, en prenant conscience de la nature de l’euro, qui tend à favoriser la spéculation. Néanmoins, les monnaies locales restent pour l’instant très marginales dans les volumes de transactions.
Elles essayent néanmoins de redonner du sens à la manière de payer, tandis que la monnaie échappe encore à tout contrôle démocratique des citoyens. Elles restent cependant adossées à l’euro, et doivent faire l’objet d’une autorisation de la part de l’État. Paradoxalement (et même si tout les sépare), le BTC pourrait être complémentaire avec les monnaies locales. En effet, il partage avec elles un projet commun : repenser la monnaie.
Le bitcoin est taillé pour Internet
Mais Bitcoin est bien plus radical dans sa proposition. Il se passe de toute approbation, de toute permission étatique ou bancaire : il est permissionless. Totalement ouvert. Surtout, il est une monnaie digital native, créée et pensée spécifiquement pour être le cash d’internet. Le dollar a été créé en 1791 dans un monde profondément différent. Même le jeune euro créé en 1999 n’a pas pu anticiper les changements technologiques des années 2000. Ces monnaies ont donc dû s’adapter en “forçant” leur nature pour exister en version numérique. Ce n’est pas le cas de Bitcoin, qui ambitionne dès le départ d’être la couche monétaire du protocole Internet : ouvert à tous, sans frontières, décentralisé.
Une autre monnaie est possible
En tant qu’outil expérimental, et en investissant le champ de la monnaie, Bitcoin renvoie à notre propre connaissance du système fiduciaire. Qui créer la monnaie ? Pourquoi les banques privées ont-elles cette prérogative ? Pourquoi l’inflation doit être maintenue à 2% à tout prix (même au risque d’augmenter le chômage) ? Qui décide de cette valeur arbitraire ? Pourquoi pas un taux à 2,4% ou 1,7% ? La banque de France se risque à justifier cette valeur dans une vidéo très… « pédagogique ».
En réalité, ces 2% d’inflation font l’objet d’un consensus, inspiré notamment des travaux de Milton Friedman, ardent défenseur de la croissance décomplexée. « La seule responsabilité sociale d’une entreprise est de maximiser ses profits« écrivait-il ainsi dans un article du New York Time paru en 1970. Depuis, c’est cette doctrine qui guide encore aujourd’hui les politiques monétaires de la Banque Centrale Européenne (BCE). Elle est depuis reprise en chœur par les banques centrales nationales comme la Banque de France.
Le capitalisme se nourrit allégrement du manque de participation et d’implication dans les décisions, notamment monétaires. Et malheureusement, les monnaies actuelles sont paramétrées pour une croissance infinie. De plus, le système actuel favorise les milieux bancaires. Ces derniers, proches des “robinets” monétaires des banques centrales, jouissent de privilèges extravagants et accumulent les milliards. En prendre conscience et s’en indigner est une chose. Le bitcoin, lui, va plus loin. Car même s’il n’est pas parfait, le protocole bitcoin s’emploie à fournir une autre proposition. Limité à 21 millions d’unités, il n’est pas bâti par essence pour une croissance infinie. Il fonctionne ainsi comme un gigantesque système parallèle open source, autogéré à l’échelle mondiale à travers une gouvernance collaborative et décentralisée.
Et si Bitcoin appelait un changement plus grand ?
N’en déplaise aux plus maximalistes et aux fantasmes d’hyperbitcoinisation, le BTC n’a pas non plus vocation à devenir une monnaie globale. Bitcoin pourrait tout au plus être une monnaie exclusive dans des contextes très particuliers : oasis, île, villes flottantes. Il est en tout cas porteur d’une utopie. Il expérimente et prouve, en utilisant un système parallèle d’une monnaie privée, la possibilité d’un système plus juste.
Car la plus grande valeur du bitcoin réside peut-être dans sa capacité à faire un pas de côté, à repenser l’usage que nous faisons collectivement de la monnaie. Reprendre le pouvoir sur la monnaie, c’est sans doute bien la plus grande proposition du bitcoin qui va bien au-delà de la seule puissance technologique de la blockchain.
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Les cryptomonnaies et le bitcoin constituent un phénomène culturel et politique à part entière. Du mouvement cypherpunk en passant par le crypto-art, je documente ces tendances qui repoussent toujours plus loin les frontières de l’économie traditionnelle.
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