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Bitcoin, shitcoins et CBDC au menu du rapport annuel de la BRI

mer 06 Juil 2022 ▪ 12 min de lecture ▪ par Nicolas T.

La banque des règlements internationaux (BRI) s’est allégrement gargarisée de l’explosion du stablecoin Terra-Luna dans son rapport annuel. Les banquiers centraux ont profité de l’occasion pour promouvoir la très dystopique CBDC et remuer le couteau dans la plaie de la CrYpTo.

La BRI exulte

Le marasme de la shitcoinerie a donné beaucoup de grain à moudre aux auteurs du rapport annuel de la BRI. Nous pouvons y lire que « l’implosion du stablecoin TerraUSD et l’effondrement de son token jumeau Luna ont mis en évidence la faiblesse d’un système soutenu par un mécanisme de spéculation […] fonctionnant grâce à l’afflux de nouveaux spéculateurs ».

Plus loin :

« Le token Luna n’avait pas de valeur intrinsèque et sa valorisation provenait principalement de l’afflux d’utilisateurs dans l’écosystème Terra. Le protocole de prêt associé, Anchor, offrait un taux de dépôt d’environ 20 % sur l’UST pour attirer ces nouveaux utilisateurs. »

Ceci est la définition d’un ponzi. Faites confiance à la BRI qui sait de quoi elle parle…

De nombreuses pages du rapport ont été dédiées à ce stablecoin qui « n’est que l’échec le plus spectaculaire parmi de nombreux autres tokens moins connus, mais s’étant également effondrés de plus de 90 % par rapport au pic de 2021 ».

La BRI ne s’est pas fait prier pour railler l’essor des stablecoins “tentant de rattacher leur valeur au dollar américain et autres monnaies conventionnelles”, ce qui « indique un besoin omniprésent de s’appuyer sur la crédibilité fournie par l’unité de compte émise par la banque centrale ».

Pour rappel, les stablecoins sont essentiellement des outils permettant aux spéculateurs de vendre leurs BTC moyennant des frais de conversion plus faibles qu’avec un vrai dollar. Il est écrit dans le rapport que « le principal cas d’utilisation des stablecoins est de surmonter la forte volatilité des prix et la faible liquidité des cryptomonnaies comme le bitcoin ».

Précisons tout de même qu’il s’échange chaque jour l’équivalent de plusieurs centaines de millions de dollars en bitcoin. C’est plus que l’action Apple qui affiche un volume journalier inférieur à 100 millions de dollars.

Le fiasco Luna a permis à la BRI de marteler l’importance de l’aspect « unité de compte » de la monnaie :

« Fournir l’unité de compte de l’économie est le rôle principal de la banque centrale. Le fait que les stablecoins aient besoin d’importer la crédibilité de la monnaie de la banque centrale est très révélateur des lacunes structurelles de la crypto. »

Cette déclaration va vite en besogne. En effet, seuls les gros spéculateurs utilisent des stablecoins. Ces derniers n’ont pas grand intérêt pour les holders qui investissent sur le long terme, bien conscients que nous sommes à l’aube d’une hyperinflation, entre autres raisons.

L’argument de l’unité de compte (le fait que l’on ne puisse rien acheter directement en BTC) est donc bien maigre. Le bitcoin remplit sa fonction de réserve de valeur, même sans être une unité de compte.

Une autre peau de banane jetée par la BRI concerne la raison pour laquelle nous verrions apparaître des shitcoins. Selon la banque centrale des banques centrales :

« Plus les utilisateurs affluent vers une blockchain, plus la congestion est importante et plus les frais de transaction sont élevés, ce qui ouvre la porte à l’arrivée de nouveaux rivaux pouvant rogner sur la sécurité au profit d’un débit de transactions plus élevé. »

La BRI fait ici semblant de ne pas être au courant du Lightning Network qui permet de faire des millions de transactions. Cette technologie est sciemment omise du rapport.

La DeFi en a également pris pour son grade :

« Malgré son nom, la DeFi présente une tendance à la centralisation. De nombreuses décisions clés dépendent de “tokens de gouvernance” souvent préminés et distribués aux équipes de développeurs ainsi qu’aux premiers investisseurs. Leur gouvernance est donc fortement concentrée. »

Que dire sinon que la BRI a raison de montrer du doigt les agissements criminels de la CrYpTo ponzienne. Il est toutefois cocasse de lire que les « cryptomonnaies laissent entrevoir des caractéristiques potentiellement utiles qui pourraient améliorer le système monétaire actuel ».

Toute une section du rapport est d’ailleurs consacrée au bitcoin et son fonctionnement. S’y trouve notamment une dédicace à leur poulain Vitalik Buterin et son fameux « scalability trilemma ».

Ce qui nous donne l’occasion de rappeler que l’on ne peut pas « améliorer » le bitcoin. Ce fameux trilemme stipule qu’il est impossible de parfaire une dimension du bitcoin (vitesse, décentralisation et sécurité) sans en amoindrir une autre.

Il serait par exemple parfaitement possible d’augmenter la vitesse de transaction du bitcoin, mais au prix d’une décentralisation moindre. De même que réduire la consommation d’énergie éroderait la sécurité.

Gageons que la banque des règlements internationaux ne s’encombrera pas de l’aspect « décentralisation » pour sa CBDC…

« Le système monétaire du futur »

Pour la BRI, la monnaie doit remplir trois fonctions. Elle doit être « une réserve de valeur, une unité de compte et un moyen d’échange ». Cette définition n’a pas changé depuis Aristote il y a de ça 2300 ans.

La définition donnée par le philosophe grec est d’une simplicité biblique comparée aux centaines de pages des règles de Bâle du système bancaire fiat. À ce propos, nous écrivions précédemment :

« Certains avancent que le bitcoin serait une mauvaise unité de compte à cause de sa volatilité. Mais c’est confondre “volatilité” avec “appréciation”. […] Le fait que le bitcoin n’ait pas cours légal est un argument bien léger. Il appartient aux peuples de trancher cette question. Historiquement, la monnaie a toujours été LA convention sociale par excellence. À ce propos, il est intéressant de noter que Platon et Aristote, tous deux contemporains de l’éclosion de la pièce d’or, avaient des avis divergents. Pour Platon, la monnaie n’était qu’une simple convention sociale. Peu importe que l’on utilise des coquillages ou du sel, du moment que tout le monde est d’accord pour l’accepter. Grave erreur selon son élève Aristote qui affirmait au contraire que la monnaie devait avoir une valeur intrinsèque. L’histoire a donné mille fois raison à Aristote. L’or a gardé son pouvoir d’achat, pas les coquillages… »

La BRI s’est ensuite demandée comment les fonctionnalités utiles de la cryptomonnaie pouvaient être intégrées dans un futur système monétaire fondé sur la CBDC.

Il y a fort à parier que la limite de 21 millions d’unités n’en fera pas partie… Ou peut être bien, mais alors seulement pour la CBDC « wholesale ». C’est-à-dire la monnaie que la BRI rêve de créer pour remplacer pétrodollar (monnaie de réserve internationale) et le réseau SWIFT (réseau de paiement international).

Il est vrai qu’avec une inflation proche de 10 % en Europe ainsi qu’aux États-Unis, de nombreux pays commencent à se demander s’ils font bien de détenir leurs réserves de change en euro ainsi qu’en dollar. La BRI est en embuscade…

Le second type de CBDC est dit « retail ». Contrairement au CBDC « wholesale » (seulement accessible aux banques centrales), le CBDC « retail » sera une monnaie accessible à tout le monde.

Ce type de CBDC soulève la question de la vie privée et la BRI en est consciente. Cette nouvelle monnaie fantasmée par la BRI devra en effet « protéger la vie privée en tant que droit fondamental et permettre aux utilisateurs de contrôler les données financières ».

Nous voilà rassurés, ou pas :

« Dans une blockchain permissionless […], toutes les transactions sont publiques. La confidentialité est préservée en cachant l’identité réelle de l’utilisateur derrière une clé privée. En revanche, un système monétaire basé sur les noms réels des utilisateurs soulève la question de la protection de leur vie privée. La vie privée a les attributs d’un droit humain fondamental. Personne d’autre n’a besoin de savoir dans quel supermarché un individu fait ses courses. »

Pour pallier à ce problème, la BRI dit se pencher sur les techniques cryptographiques. Notamment le zero-knowledge proofs (ZKP) qui permet de prouver que quelque chose est vrai (une transaction) sans qu’aucune autre information supplémentaire ne soit révélée.

Nous pouvons lire plus loin :

« L’architecture de gestion des datas des CBDC peut donner aux utilisateurs un contrôle beaucoup plus important sur leurs données personnelles, tout en préservant la vie privée et le bien-être des consommateurs. En effet, les banques centrales n’ont aucun intérêt commercial dans les données personnelles et peuvent donc concevoir de manière crédible des systèmes dans l’intérêt du grand public. »

Les banques centrales n’auraient aucun intérêt de tout savoir de nos habitudes de consommation. Tiens donc… Sauf que toutes ces données jalousement gardées par les banques centrales devront être dévoilées au moment de faire un prêt afin d’être passées à la moulinette de l’IA qui jugera qui est digne d’emprunter de l’argent, ou pas.

Il est certain que nos données seront en vérité constamment passées au peigne de fin du machine learning et que la BRI pourrait en tirer un pouvoir hégémonique colossal.

Terminons ce rapide résumé des points saillants de ce long rapport en précisant que les CBDC seront basées sur l’identité numérique.

La BRI ne s’est pas étalée sur cette identité numérique universelle et centralisée. Cette dernière est pourtant cruciale et permettra très probablement d’accéder très facilement à une myriade d’autres données collectées par toutes les app qui la requerront.

En somme, la CBDC sera l’antithèse du bitcoin. Les transactions ne se révéleront pas véritablement anonymes, pourront être empêchées pour x raisons, sans parler du fait que la masse monétaire ne s’avérera pas fixe.

Elle sera de surcroît programmable. En d’autres termes, des conditions pourront être assorties à notre argent. Pour le dire plus crûment, l’outil de contrôle total qu’est la CBDC permettra un beau jour de rationner la population.

Ce n’est pas votre serviteur qui le dit, mais le chairman de la BRI en personne :

« Avec la CBDC, contrairement à l’argent liquide, les banques centrales auront un contrôle absolu sur les règles qui détermineront son utilisation. »

Interrogé sur les prochaines étapes de la Fed concernant le déploiement d’une CBDC, le président de la Fed a déclaré aux députés américains jeudi dernier que « c’est quelque chose que nous devons vraiment explorer en tant que pays ».

« Notre plan est de travailler à la fois sur le côté politique et le côté technologique dans les années à venir et de faire une recommandation au Congrès à un moment donné », a déclaré Jerome Powell.

Le rapport de la BRI conclut pour sa part en avançant que le chantier prendra une décennie. La BCE parle de cinq ans. Où sera le bitcoin d’ici à ce que les banquiers mettent sur pied cette usine à gaz monétaire ?

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Nicolas T.

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