Bitcoin face au risque de centralisation : L'analyse du CEO de Braiins

Cointribune s’est entretenu avec le CEO de la pool Braiins, Jan Čapek, pour faire la lumière sur le risque de centralisation qui refait surface depuis quelques mois.

Avant-propos

Les pressions centralisatrices vis-à-vis du réseau Bitcoin sont multiples. Les plus importantes proviennent de la fabrication des ASIC et des pools.

Jan Čapek, cofondateur de Braiins, la toute première pool Bitcoin, a répondu à nos questions à propos des risques de centralisation du réseau Bitcoin, dont on entend beaucoup parler depuis quelques mois.

There are many ways to stack sats 🤝 pic.twitter.com/bRW1mPGomn

— Braiins (@BraiinsMining) August 2, 2024

Bonjour Jan Čapek. La dimension la plus centralisée du réseau Bitcoin est la fabrication d’ASIC. Que pouvez-vous nous en dire ?

La centralisation de la fabrication des puces électroniques pourrait être un problème : un seul fabricant détient la grande majorité du marché, ce qui est préoccupant, puisque cela pourrait introduire des bugs involontaires, des pressions gouvernementales ou de faibles incitations à améliorer la qualité des ASIC.

De nombreuses entreprises tentent d’étendre leurs activités au matériel nécessaire pour miner des bitcoins, y compris Braiins. Je pense que dans quelques années, il y aura davantage de fabricants d’ASIC, mais il est vrai que le défi ultime de la décentralisation du matériel réside dans la fabrication des puces. Actuellement, TSMC est le leader mondial sur ce marché, et le développement de nouvelles industries dans ce domaine est extrêmement lent.

[Note pour le lecteur néophyte : Un ASIC signifie littéralement « circuit intégré propre à une application ». Il s’agit d’un circuit intégré conçu pour réaliser une application spécifique (hacher des données via l’algorithme SHA-256 dans le cas du « mining de bitcoins »).]

Les fonderies sont en effet un petit club. Samsung peut également produire en 3 nm, et c’est à peu près tout. Pourrions-nous être plus optimistes en ce qui concerne la conception d’ASIC ? Votre compagnie Braiins en concevra-t-elle un jour ?

L’offre de puces, comme celle du bitcoin ou de l’or, est extrêmement inélastique et ne s’adapte pas rapidement à la demande du marché. L’offre étant limitée, seuls les grands acteurs disposant de ressources financières importantes peuvent participer.

Chez Braiins, nous travaillons au développement de notre propre matériel, mais il s’agit d’une entreprise de longue haleine. Cette année, nous avons commencé avec des mini-mineurs pour nous faire la main. La création d’un ASIC ou d’une puce complète prendra beaucoup de temps, mais nous pensons que « la lenteur et la régularité gagnent la course » !

Les pools sont le second plus grand facteur de centralisation. Pourriez-vous expliquer ce qu’est une pool et en quoi ils peuvent constituer une menace ?

Les pools sont nées parce que les mineurs de bitcoins solitaires étaient confrontés à des coûts élevés et à des récompenses imprévisibles. Pour y remédier, ils ont mis leurs ressources en commun en vue de partager les risques et les récompenses, créant ainsi une activité plus stable où les bénéfices individuels sont amplifiés par l’effort collectif.

Les pools pourraient constituer une menace si un pourcentage important du hashrate convergeait vers une pool, ce qui permettrait à des propriétaires malveillants de lancer des attaques (selfish mining, reorgs, censure).

Selon la théorie des jeux, les mineurs devraient s’éloigner de la plus grande pool puisqu’ils ont un intérêt économique à maintenir un réseau équilibré et sécurisé.

Un nouveau venu dans le petit club des pools (Ocean Pool) fait beaucoup parler de lui. L’un de ses fondateurs a déclaré que Bitmain « sélectionne probablement plus de 50 % des transactions et fabrique 90 % des ASIC ». Comment en est-il arrivé à ces chiffres ?

Bien que nous ne sachions pas comment il est parvenu à ces chiffres, nous pouvons effectuer une analyse statistique des blocs de transactions que les pools soumettent aux mineurs. Nous pouvons en tirer des estimations raisonnables. Nous pensons que Bitmain sélectionne probablement un pourcentage légèrement inférieur à 50 % des transactions insérées dans les blocs.

Quant aux ASIC, nous ne sommes pas certains qu’ils proviennent à 90 % de Bitmain. Cependant, en tant que partisans du marché libre, nous voyons des entreprises telles que Canaan, MicroBT, IceRiver, etc. se développer. La concurrence est devenue réelle. Bitmain est un colosse dans le monde du bitcoin, mais avec de nouvelles entreprises et de nouveaux investissements, nous sommes optimistes quant à cette facette de la décentralisation du bitcoin.

Qu’est-ce que Stratum V2 et est-ce la solution contre la centralisation de la sélection des transactions par les pools ?

Stratum V2 est un protocole de communication qui constitue une avancée par rapport à BetterHash et Stratum V1, principalement en raison de son efficacité, de sa sécurité et de l’autonomie des mineurs. Il réduit l’utilisation de la bande passante, accélère les communications et renforce la sécurité pour empêcher les attaques de type « man-in-the-middle ».

Avec SV2, les mineurs peuvent également sélectionner eux-mêmes les transactions, ce qui est excellent pour la décentralisation du bitcoin. Ne pas laisser aux pools la possibilité de choisir les transactions permet d’éviter de nombreuses attaques et problèmes de censure.

Qu’est-ce qui différencie Braiins des autres pools ?

Je pense que la principale différence est que Braiins n’est pas seulement une pool. Nous créons un écosystème autour des mineurs en les aidant dans tous les aspects de leur travail. Du firmware et de l’installation du matériel jusqu’au pool, au proxy, en passant par l’assistance, etc.

Nous essayons de créer un service complet pour aider les mineurs à gagner en efficience et donc en rentabilité. Nous sommes la toute première pool et nous voulons continuer à façonner l’évolution du protocole en fournissant des mises à jour telles que les paiements via le Ligthning Network et Stratum V2.

Braiins fut la dernière grande pool à utiliser le système de paiement FPPS pour distribuer les récompenses aux mineurs. C’est pourtant un système sous le feu des critiques. Cela peut sembler naïf, mais les pools ne feraient-ils pas mieux de se mettre d’accord pour ne pas l’utiliser ?

Le système de paiement FPPS (Full Pay Per Share) rémunère les mineurs pour chaque hash apporté, c’est-à-dire la récompense du bloc plus les frais de transaction. Cela garantit des revenus stables et cohérents pour le mineur.

Les gens critiquent parfois ce système parce qu’ils pensent qu’il est mauvais pour la décentralisation du bitcoin. Nous pensons honnêtement que ce n’est pas vrai. Chaque système de paiement est un compromis entre les risques, les récompenses et la sécurité pour les mineurs et la pool. Il n’y a pas de système parfait, mais des compromis différents.

Nous pensons que l’avenir le plus probable est l’adoption du système FPPS par toutes les pools et l’émergence de marchés mondiaux de hashrate où les investisseurs, les mineurs, les bitcoiners et les particuliers pourront acheter et vendre du hashrate auprès des pools. Cela, avec la mise en œuvre du SV2, rendra l’industrie du bitcoin plus optimisée et décentralisée.

Dans un écosystème aussi complexe que celui du bitcoin, les accords à l’amiable ont peu de chances de fonctionner. Le mining est une guerre ; chaque mineur est un soldat qui se bat pour gagner la course du prochain bloc. Les seuls principes respectés sont le consensus du protocole et la théorie des jeux.

Merci pour votre temps et vos réponses précises M. Čapek.