Bitcoin (BTC) : L'arme secrète de l'extrême droite ?
David Golumbia, un chercheur américain pense que Bitcoin, loin d’être un objet neutre, est avant tout l’émanation d’une doctrine d’extrême droite. Cet article est une traduction d’un extrait du livre “The Politics of Bitcoin”. Découvrez pourquoi certains pensent que Bitcoin est avant tout le cheval de Troie issu de la droite américaine la plus radicale.
Bitcoin, culture numérique et politique de droite
Au début des années 2010, puis tout au long de l’année 2013, les observateurs de la culture Internet ont commencé à lire de plus en plus de choses sur une nouvelle forme de paiement numérique appelée Bitcoin. Bien qu’un certain nombre de systèmes de paiement numérique aient déjà vu le jour, on disait que Bitcoin était différent.
Sa différence provient d’au moins deux sources : premièrement, Bitcoin est basé sur une forme relativement nouvelle de technologie cryptographique appelée « blockchain », et deuxièmement, tout au long de l’année 2013, la valeur du bitcoin a grimpé en flèche par rapport aux monnaies mondiales officielles telles que le dollar américain. Fin 2012, on pouvait acheter un bitcoin pour environ 13 dollars américains. En mai 2013, ce même bitcoin valait plus de 100 dollars américains, soit un gain de près de 800 % pour ceux qui avaient eu la chance de le conserver pendant cinq mois.
Cette performance remarquable a propulsé bitcoin sur le devant de la scène, ce qui a débouché finalement sur la création de nombreuses sociétés et a attiré des investisseurs en capital-risque.
Le cheval de Troie de l’extrême droite ?
L’intérêt pour Bitcoin provenait en grande partie des technologues et de ceux qui admirent le travail des technologues. Pour ceux d’entre nous qui observaient Bitcoin d’un point de vue politique et économique, quelque chose de bien plus frappant que l’augmentation explosive de sa valeur est devenu évident. Au nom de cette nouvelle technologie, les idées extrémistes gagnaient beaucoup plus de terrain qu’elles n’en avaient auparavant.
Les théories propagées presque exclusivement par des groupes d’extrême droite comme la Liberty League, la John Birch Society, le mouvement des milices et le Tea Party, des théoriciens de la conspiration comme Alex Jones et David Icke et, dans une moindre mesure, par des organes de presse de droite comme le groupe Fox étaient désormais répétés par de nombreuses personnes qui semblaient ne pas connaître l’origine de ces idées.
Ces idées ne sont pas simplement hétérodoxes ou contradictoires : elles font partie d’une vision totale du monde qui a été développée et promue par des idéologues de droite. Pour quiconque connaît l’histoire de la pensée de droite aux États-Unis et en Europe, ces idées sont étonnamment familières : la banque centrale américaine (la Fed), fomente un complot pour abolir la liberté d’expression et la liberté d’association.
De la critique de l’inflation au complotisme
Le système monétaire mondial serait sur le point de s’effondrer en raison des politiques des banques centrales, en particulier en raison du système des réserves fractionnaires. Les monnaies « fortes » comme l’or offriraient une protection significative contre ce prétendu effondrement.
L’inflation serait donc la manifestation d’un complot visant à voler l’argent des citoyens et à le remettre à une cabale obscure d’élites qui opèrent dans les coulisses. Plus généralement, les dirigeants des gouvernements, des grandes entreprises et les riches individus que nous connaissons tous seraient « contrôlés » par ces mêmes « élites ».
L’importance du cyberlibertarianisme
Pour comprendre comment le bitcoin en vient à incarner ces idées extrémistes, il faut le situer dans deux cadres analytiques plus larges. Le premier est le phénomène que les chercheurs appellent le cyberlibertarianisme.
On résume parfois le cyberlibertarianisme comme le principe selon lequel « les gouvernements ne devraient pas réglementer l’Internet ». Cette conviction a été exprimée avec une force particulière dans la « Déclaration d’indépendance du cyberespace » rédigée en 1996 par l’activiste libertaire, John Perry Barlow, qui a déclaré que « les gouvernements du monde industriel » ne sont « pas les bienvenus » dans le domaine numérique et qu’ils n’ont « aucune souveraineté » sur celui-ci.
Les cyberlibertariens sont de plus en plus nombreux à revendiquer la « liberté » apportée par la technologie numérique. Dans son acception la plus large, le cyberlibertarianisme peut être considéré comme une sorte de croyance selon laquelle la liberté émergera naturellement du développement croissant de la technologie numérique, ce qui implique que les efforts visant à interférer avec ce développement ou à le réglementer sont contraires à la liberté.
Être un cyberlibertaire, c’est croire que « le dynamisme de la technologie numérique est notre véritable destin ». Nous n’avons pas le temps de nous arrêter, de réfléchir ou de demander plus d’influence pour façonner ces développements. Dans les écrits des cyberlibertaires, ceux qui sont capables de relever le défi sont les champions du prochain millénaire.
Une conception radicale de la liberté
Il est certain que de nombreux dirigeants du secteur de la Tech, déclarent ouvertement leur adhésion à des idéologies libertaires. Il suffit de citer Elon Musk, Peter Thiel, Eric Raymond, Jimmy Wales, Eric Schmidt et Travis Kalanick.
Le cyberlibertarianisme, en tant que système de croyance, associe un enthousiasme extatique pour les formes de vie numériques à des idées libertaires radicales de droite sur des sujets tels que la liberté, la vie sociale, l’économie ou la politique.
S’appuyant sur les positions de la droite concernant la nature exclusivement oppressive du pouvoir gouvernemental, les cyberlibertariens préconisent de plus grandes concentrations de pouvoir sur les canaux d’information qui, ils en sont convaincus, créeront une abondance de bande passante bon marché et socialement disponible.
Dans une perspective cyberlibertaire, les gouvernements – tous les gouvernements, et pas seulement le « mauvais » gouvernement qui agit mal – n’existent que pour restreindre la liberté. Selon eux, être « libre », c’est simplement être « libre » du gouvernement. La croyance cyberlibertaire fondamentale selon laquelle les gouvernements ne devraient pas réglementer l’internet n’a vraiment de sens que s’il est vrai que le gouvernement existe pour restreindre la liberté humaine plutôt que pour la promouvoir. Pourtant, dans la plupart des théories politiques exogènes à la droite, le gouvernement existe en grande partie pour promouvoir la liberté humaine.
La façon la plus directe d’arriver à cette conception de la liberté est d’accepter la définition du gouvernement développée par l’extrême droite, en particulier par les théoriciens anarcho-capitalistes comme Murray Rothbard et David Friedman, et reprise par des politiciens comme Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Selon ce point de vue, le « gouvernement » est intrinsèquement totalitaire et tyrannique ; en effet, « gouvernement » et « tyrannie » sont essentiellement synonymes.
De l’anarcho-capitalisme au cyberlibertarianisme à Bitcoin
Le libertarianisme et le néolibéralisme découlent des écrits des principaux penseurs de droite tels que Friedrich August von Hayek, Ludwig von Mises, Milton Friedman, Rothbard et d’autres.
Au lieu d’un équilibre des pouvoirs et d’élections régulières pour limiter les risques d’abus de pouvoir, les cypherpunks et crypto-anarchistes acceptent, souvent sans même s’en rendre compte, la définition d’extrême droite, libertaire/anarcho-capitaliste du gouvernement qui s’étend du théoricien social allemand Max Weber (qui a défini l’État comme un « monopole de l’usage légitime de la force physique sur un territoire donné ») jusqu’au discours inaugural de Ronald Reagan en 1981, dans lequel il affirmait que « le gouvernement n’est pas la solution à notre problème ; le gouvernement est le problème ».
L’articulation la plus claire de ces points de vue se trouve dans les travaux de Murray Rothbard. Rothbard rejette la quasi-totalité de la théorie politique antérieure à Hayek, tout en radicalisant la pensée de Hayek.
Celui-ci insiste sur le fait que « nous » ne sommes pas le gouvernement. Le gouvernement n’est pas « nous ». Le gouvernement ne « représente » en aucun cas la majorité du peuple ». Sans argument ni analyse à l’appui, Rothbard rejette la quasi-totalité de la théorie politique sur laquelle reposent les règles démocratiques.
Tyranie, liberté, Bitcoin
Les mots les plus importants pour comprendre Bitcoin sont « tyrannie » et « liberté ». Lorsque la droite les utilise, ces mots sont dépouillés de leur sens courant et greffés sur des corpus de pensée politique, de sorte qu’il peut sembler raisonnable de s’opposer à la sécurité sociale au motif qu’elles portent atteinte à la « liberté » et constituent une « tyrannie ».
Ce n’est pas un hasard si l’idéologue de droite et animateur de talk-show Mark Levin intitule l’un de ses best-sellers Liberty and Tyranny : A Conservative Manifesto (2009), ou qu’il affirme que « le conservatisme est l’antidote à la tyrannie ».
Des cypherpunks bien conservateurs ?
May et Hughes (deux cypherpunks extrêmement célèbres), comme la plupart des populistes de droite aux États-Unis, partent du principe que la politique s’organise exclusivement autour de l’individu souverain.
En bref, ils souscrivent à une version extrême de « la force fait le droit », et la seule égalité qui les intéresse est la capacité de chacun à se défendre pleinement contre les violations du droit de propriété.
May (1992) écrit : « L’État essaiera bien sûr de ralentir ou d’arrêter la diffusion de cette technologie, en invoquant des problèmes de sécurité nationale, l’utilisation de la technologie par les trafiquants de drogue et les fraudeurs fiscaux, et la crainte d’une désintégration de la société ».
Dans la mesure où Bitcoin réalise les rêves de May, Hughes et des autres cypherpunks, il s’agit d’un rêve d’utilisation de logiciels pour démanteler le projet même de gouvernement représentatif.
Le fait qu’un grand nombre de ces mêmes crypto-anarchistes, sans parler des entrepreneurs du protocole Bitcoin qui travaillent en étroite collaboration avec les principaux investisseurs en capital-risque de la Silicon Valley, siègent aujourd’hui à la tête ou à proximité des plus grandes entreprises du monde nous dit tout ce qu’il faut savoir sur leur attitude à l’égard du pouvoir concentré des entreprises. May lui-même a travaillé chez Intel pendant plus d’une décennie.
Les arguments des bitcoiners contre l’accusation
L’un des principaux arguments utilisés pour défendre Bitcoin contre les allégations de sa nature profondément droitière consiste à suggérer que le protocole est défendu par des personnes qui se considèrent comme étant politiquement à gauche et que seul un sous-ensemble de personnes profondément impliquées dans la promotion de Bitcoin se décrit comme libertariens.
L’intérêt généralisé pour Bitcoin a d’abord émergé de son utilité en tant que moyen de contourner le « blocus de WikiLeaks ». Comme l’a déclaré en 2012 Jon Matonis, directeur exécutif de la Fondation Bitcoin jusqu’à sa démission en octobre 2014 :
“Suite à la publication massive d’informations diplomatiques secrètes en novembre 2010, les dons à WikiLeaks ont été bloqués par Bank of America, VISA, MasterCard, PayPal et Western Union le 7 décembre 2010. Bien que les entreprises privées aient certainement le droit de choisir les transactions à traiter ou non, l’environnement politique n’a pas permis de prendre une décision juste et objective. Il s’agissait d’une pression coordonnée exercée dans un climat politisé par le gouvernement américain et ce ne sera pas la dernière fois que nous verrons ce type de pression.
Heureusement, il existe un moyen de contourner ce blocage financier et d’autres, grâce à une méthode de paiement mondiale à l’abri des pressions politiques et de la censure monétaire.”
Les bitcoiners contre la régulation
Dans le contexte financier, le terme « régulation » a deux significations distinctes.
La première est la manipulation de la valeur du dollar par la banque centrale. C’est ce à quoi font référence les bitcoiners et les théoriciens complotistes de droite lorsqu’ils parlent de la Réserve fédérale qui « dévalue » la monnaie américaine en « imprimant plus d’argent ».
La seconde signification, moins souvent invoquée concerne le type de contrôle exercé par la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis, en ce qui concerne les marchés financiers.
Cette agence a été la cible de la droite, en particulier depuis qu’elle a élargi son champ d’action et son pouvoir pendant le New Deal. L’ère Lochner, dont on dit généralement qu’elle s’étend de 1897 à 1937, a marqué une période de forte restriction des pouvoirs du gouvernement fédéral en matière de réglementation des pratiques commerciales. Ce n’est pas un hasard si la naissance de l’extrémisme de droite coïncide avec la fin de l’ère des « barons ».
Bitcoin : un mélange explosif de culture numérique et de politique de droite
Lorsque les bitcoiners soutiennent le principe d’une monnaie située au-delà des États-Nations et de leur régulation, ils brouillent souvent les lignes entre ces deux formes très différentes de régulation, qui n’ont en réalité aucun lien. Après tout, la Réserve fédérale, (comme les extrémistes de droite le soulignent), ne fait pas partie du gouvernement. À l’inverse, la SEC et les autres agences en font partie. La Fed n’a pas de pouvoir exécutif direct, alors que les agences de régulation en ont généralement.
La mission de la Fed est double : maintenir le taux de chômage à un niveau relativement bas et tenter d’assurer un taux d’inflation constant et relativement faible. Il s’agit dans les deux cas d’effets régulateurs. Un taux d’inflation trop élevé ne constitue pas une infraction pénale ou même civile. Les agences de régulation, quant à elles, s’occupent de la mise en œuvre des lois fédérales.
Les bitcoiners cherchent à éviter le type de réglementation que la Réserve Fédérale impose sur les taux d’intérêt américains et la masse monétaire.
David Golumbia nous montre dans son livre comment une grande partie de la pensée économique sur laquelle repose Bitcoin émane directement d’idées situées sur la droite, voire l’extrême droite de l’échiquier politique. Bitcoin : cette force gravitationnelle qui parvient à introduire dans le débat public des idées radicales, à l’intersection entre l’anarchisme de la propriété privée et la religion technologique.
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