Bitcoin (BTC) face au péril technologique
Bitcoin est profondément lié au sujet de la technique. Cette philosophie de la technique qui a connu de nombreuses avancées au XXe siècle nous donne un cadre d’interprétation solide et pertinent pour comprendre un peu plus Bitcoin. Alors que la technique est devenue la nouvelle religion de l’humanité, qu’elle fait reculer chaque jour un peu plus la liberté individuelle au point de menacer la survie de l’homme et de son environnement, il est plus que jamais temps de devenir techno critique. Bitcoin, en redonnant de l’autonomie aux individus, pourrait bien être la technologie la plus intéressante depuis la révolution industrielle.
Qu’est-ce que la technique ?
Le philosophe Jacques Ellul approche la technique comme l’ensemble des méthodes rationnellement élaborées et qui présentent une efficacité maximale dans tous les domaines de la vie humaine.
« Le phénomène technique peut se définir comme la préoccupation de l’immense majorité des hommes de notre temps, de rechercher en toutes choses la méthode absolument la plus efficace », Jacques Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle.
Le philosophe français, lecteur de Heidegger, se distinguera des autres penseurs de la technique en adoptant un point de vue systémique. Pour Ellul, la technique n’est pas un « objet neutre » capable de faire autant le bien que le mal, mais d’abord un système autonome.
« Il est vain de déblatérer contre le capitalisme : ce n’est pas lui qui crée ce monde, c’est la machine », Ellul.
Autonomie de la technique
La technique est un système qui gagne chaque jour en autonomie. Un lieu commun nous laisse penser que la technique n’est qu’un outil au service de l’homme. L’homme demeurerait finalement le seul décisionnaire de l’orientation de la technique. Un moyen comme les autres.
Mais comme l’a montré Ellul, la technique avance seule et nous impose sa trajectoire. Elle est même devenue l’objet le plus sacré à l’époque moderne. Personne n’ose la discuter : elle est devenue une évidence. Devenir un technicien demeure la chose la plus valorisée et le progrès technique est le but de tous les régimes.
Il faut également comprendre que depuis la révolution industrielle, l’humanité est entrée en phase de croissance exponentielle. Si les hommes ont toujours cherché à développer des outils pour accroître leur supériorité sur la nature au-delà de leur puissance corporelle, la technique s’est mise à se développer plus vite que la capacité d’adaptation de l’homme.
L’homme devient, progressivement, le moyen de la technique.
L’homme devient un moyen au service de la technique
Ceci est d’autant plus vrai à l’heure de l’avènement de l’intelligence artificielle générale. Une super IA qui s’auto-améliorerait et augmenterait continuellement sa capacité à atteindre ses objectifs. Cette dernière pourrait même un jour considérer l’être humain comme un obstacle à la réalisation de ces tâches.
La croissance du système technicien est déconcertante, même pour le technicien. Lorsque le banquier central Alan Greenspan a été interrogé sur la crise financière de 2008 par la Chambre des représentants, il a admis l’incapacité de la Fed à comprendre certains des problèmes auxquels elle était confrontée. Phénomène de la boîte noire.
Bref, la force technoscientifique dépend de moins en moins des humains qui deviennent alors de plus en plus obsolètes.
La Technique anéantit la liberté
Nous sommes rigoureusement déterminés par la technique. La meilleure démonstration de ce déterminisme est qu’il est obligatoire d’adopter les nouvelles technologies. Quiconque déciderait de vivre sans téléphone portable, sans internet, sans compte bancaire, ou sans réseaux sociaux serait vu comme un paria.
C’est cette dépendance croissante à la technique couplée à une absence de questionnement sur la nécessité de construire telle ou telle technique qui conduit progressivement à l’anéantissement de la liberté. Et le développement d’algorithmes toujours plus efficaces pour capter notre attention ne fait qu’aggraver la situation.
Comme l’expliquait Ellul (on peut même remonter à Platon), toute technique a un prix. There is no free lunch.
Ce prix est souvent un recul de l’autonomie de l’individu en échange de confort. Comme le disait Bastiat, il y a ce que l’on voie et ce que l’on ne voit pas. Ce que l’on voie : c’est que la voiture augmente la liberté de se déplacer. Ce que l’on ne voit pas (le prix de cette technologie), c’est l’augmentation de la pollution, la croissance de l’obésité, les accidents, la destruction des paysages, l’abolition du silence, le réchauffement climatique…
Bitcoin : une force autopoétique
Bitcoin est l’un des systèmes qui illustre le mieux ce processus d’autonomisation de la technique décrit par Jacques Ellul. Il s’agit d’un serveur d’horodatage distribué autonome et globalement incontrôlable, grâce à son algorithme de preuve de travail.
Code is Law : toutes les règles sont automatisées et programmées dans un code informatique extrêmement difficile à modifier en raison du système de gouvernance. Le protocole a d’ailleurs vocation à s’autonomiser de plus en plus puisque les bitcoiners défendent la thèse de l’ossification.
Bref, le réseau n’a pas besoin d’un homme ou d’une organisation en particulier pour le faire fonctionner. C’est pourquoi il est pertinent de parler de force autopoétique.
« L’autopoïèse est la propriété d’un système de se produire lui-même, en permanence et en interaction avec son environnement, et ainsi de maintenir son organisation malgré son changement de composants et d’informations ».
Quel est le but de la technique ?
Quelle est la finalité de la technique ? Vers quoi tend-elle ?
Pour Ellul, la technique ne poursuit aucune fin. Il s’agit d’une force autonome, mais dépourvue d’intentionnalité.
« La technique évolue de façon purement causale : la combinaison des éléments précédents fournit les nouveaux éléments techniques… Dès lors, poser arbitrairement tel ou tel but à cette technique, proposer une orientation, c’est nier la technique elle-même, c’est lui enlever sa nature et sa force. », Jacques Ellul.
À l’inverse, Severino n’est pas d’accord. Il défend la thèse d’une finalité de la technique qui est d’augmenter sa propre puissance. Autrement dit, la technique aurait pour but d’accroître indéfiniment sa capacité à atteindre des fins. C’est pourquoi la recherche de l’efficacité maximale est au cœur de la technologie.
Quelle est la finalité de bitcoin ?
Quel est l’objectif de Bitcoin ? Pour Satoshi Nakamoto, qui était un cryptoanarchiste et un cypherpunk, il s’agissait de parvenir à construire un système de paiement électronique de pair à pair qui permettrait à n’importe quel être humain d’effectuer un transfert de valeur sans recourir à un tiers de confiance bancaire ou gouvernemental.
Il s’agissait donc de développer un protocole basé sur la cryptographie pour résoudre le problème multiséculaire de la confiance inhérent au transfert de valeur dans le temps et dans l’espace.
L’application de la thèse de Severino à Bitcoin semble ici pertinente. À mesure que la technique augmente sa propre puissance, c’est-à-dire sa capacité à résoudre des problèmes, Bitcoin en fait tout autant grâce à la théorie des jeux.
Au fil du temps, de plus en plus de gens adoptent bitcoin, ce qui augmente l’utilisation du réseau. Les frais de transactions s’accroissent en même temps que le prix du BTC, ce qui augmente les incitations à miner et donc à sécuriser le protocole. Il y a de plus en plus s’ASICS et le hashrate augmente. De nouvelles opportunités économiques naissent, ce qui attire des entrepreneurs et des développeurs qui proposent des améliorations du protocole. Une boucle de rétroaction positive augmente ainsi continuellement la résilience du réseau : au fil du temps, il devient plus fort, plus grand, plus sûr. Bref, il est plus à même de résoudre des problèmes.
En réalité, peu importe la finalité de bitcoin. Celle-ci ne cesse d’évoluer dans le temps : résistance à la censure, lutte contre l’inflation… Indépendamment de l’objectif du protocole, Bitcoin a pour finalité de se renforcer lui-même, sinon il ne serait pas en mesure de fonctionner efficacement et de servir son objectif. Quel qu’il soit.
Les États au service de Bitcoin
Comme l’explique Severino, les grandes forces que sont les idées et les religions (capitalisme, christianisme, socialisme, démocratie…) ont des fins conflictuelles et mutuellement exclusives. Chaque force conceptualise alors la technique comme un moyen pour arriver à ses fins. Le capitalisme utilise des technologies pour accélérer l’avènement d’un monde capitaliste. Idem pour le christianisme, le communisme… Chaque force essaye de faire prévaloir ses fins sur celles des autres en s’appuyant sur la technique.
Elles ne peuvent pas ignorer la technique, car il s’agit d’une puissance qui augmente substantiellement les probabilités de concrétiser leur vision du monde. Pire, ignorer la technique, c’est prendre le risque de se faire distancer par les autres forces, qui elles, l’exploitent. Par conséquent, chaque force veut préserver et accroître la puissance de ses outils techniques. L’adoption de la technique par les forces traditionnelles comme un simple outil pour atteindre leur fin est donc une illusion.
Ce qui se passe réellement, c’est que le pouvoir de la technique devient leur finalité fondamentale.
Les États subordonneront-ils leurs fins à celles de bitcoin ?
Là aussi, la comparaison avec Bitcoin semble pertinente. Nous sommes continuellement témoins des tentatives de certaines forces de contrôler bitcoin afin de le mettre au service de leurs propres fins. Mais ce qui se passe cependant, c’est que la tentative de subordonner bitcoin conduit à accélérer l’adoption du BTC.
Si demain la Chine souhaitait maximiser ses chances de construire un monde communiste sous influence néo-maoïste, elle devrait augmenter sa puissance économique. Sous hypothèse d’une adoption croissante du bitcoin, elle devrait alors accumuler du BTC. À l’inverse, les États-Unis qui veulent conserver leur hégémonie n’auraient pas intérêt à se faire devancer par la Chine et ils seraient incités à acheter du BTC. Tout ceci contribuerait à renforcer le protocole. Même des pays qui détestent la thèse de BTC seraient contraints d’en acquérir comme une forme d’assurance.
Tous considèrent bitcoin comme un moyen d’atteindre une fin, mais ce qui se passe, c’est qu’ils sont incités à éviter les décisions qui affaiblissent le protocole. Ce faisant, ils subordonnent en fait leur fin à celle du bitcoin.
Bitcoin face à l’État, mais au service de la technique ?
Le livre The Sovereign Individual qui a inspiré des générations de cypherpunk et de technologues comme Vitalik Buterin ou CZ présente une perspective optimiste sur la façon dont la technologie va donner du pouvoir aux individus et renforcer leur autonomie par rapport à l’État.
La technologie perturberait la logique de la violence traditionnellement monopolisée par l’Etat. De manière quasiment prophétique, 10 ans avant l’invention de Satoshi, les auteurs ont décrit la forme que prendrait une cybermonnaie.
« Le cybercommerce commence, il mènera inévitablement à la cybermonnaie. Cette nouvelle forme d’argent remettra les pendules à l’heure, en réduisant la capacité des États-nations du monde à déterminer qui devient un individu souverain. Une partie cruciale de ce changement se produira en raison de l’effet des technologies de l’information qui libèrent les détenteurs de richesses de l’expropriation par l’inflation. Bientôt, vous paierez presque n’importe quelle transaction sur le net au moment même où vous l’effectuerez, en utilisant la cybermonnaie. Cette nouvelle forme d’argent numérique est destinée à jouer un rôle central dans le cybercommerce. Elle sera constituée de séquences cryptées de nombres premiers à plusieurs centaines de chiffres. Unique, anonyme et vérifiable, cette monnaie permettra d’effectuer les transactions les plus importantes. Elle sera également divisible en la plus petite fraction de valeur. », The Sovereign Individual.
Bitcoin supprime l’action humaine
L’offre monétaire fixe du bitcoin limite le facteur humain de l’équation monétaire. Il y a peu de place pour l’incertitude créée par l’action humaine imprévisible dans un monde dominé par la technique. Bitcoin exclut donc l’État de l’équation.
Le protocole va même jusqu’à surmonter les contraintes géographiques. Étant basée sur l’État, la monnaie fiat est limitée par les frontières. À l’inverse, bitcoin est sans frontières : au Nigéria ou en France, vous pourrez continuer à accumuler des satoshis. Il s’agit d’une caractéristique importante dans le monde technique, déjà décrit par Heidegger : la technique a une propension planétaire. Les frontières nationales sont des carcans pour la technique.
Bitcoin, symptôme de l’utopie technologique du 21e ?
On voit bien que Bitcoin est un révélateur de la suprématie de la technique à l’âge moderne. Fix the money, fix the world. Certains maximalistes vont jusqu’à accepter la dimension religieuse du Bitcoin et nagent dans l’utopie technologique.
Bitcoin instaurerait un nouvel Eden en éradiquant la pauvreté, l’inflation, le chômage, en faisant tomber les tyrans et en rétablissant la propriété privée. Tous les problèmes, y compris ceux engendrés par la technique seront réglés par la technique. Au XXe siècle, l’utopie était économique. Au XXIe siècle, elle est technologique. Evgeny Morozov parle de « solutionnisme technologique ».
Mais, bitcoin demeure bien différent des autres enfants de la technique. Regardons pourquoi cette manifestation de la technique est peut-être la plus excitante depuis la révolution industrielle.
Bitcoin, une technologie vraiment différente
Bitcoin n’est pas une technologie qui a été construite pour améliorer l’efficacité du système financier. Au contraire, c’est l’inefficience même : lenteur, consommation énergétique, frais, transparence.
Toute cette inefficience (critiquée par les techniciens d’Ethereum) est mobilisée en vue de servir des objectifs cypherpunk nobles : la souveraineté individuelle face au collectivisme, la préservation de l’autonomie ou encore la défense de la vie privée. Tous ceux qui considèrent que le but de la crypto est de construire un système financier plus efficace (plus rapide, moins cher) n’ont pas saisi l’âme de bitcoin. Bitcoin n’est pas une fintech.
Par rapport aux autres technologies (y compris les altcoins), Satoshi n’avait pas vocation à faire du profit avec Bitcoin. Certes, la théorie des jeux repose sur des mécanismes de cupidité et de profit, mais ce n’est pas sa finalité. Bitcoin, ce protocole open source, est né d’une pulsion pour la liberté.
Redonner de l’autonomie aux individus
C’est aussi l’une des rares technologies qui aspire à redonner de l’autonomie aux individus. L’ennemi de la liberté, c’est la sécurité, le confort. Or, Bitcoin ne promet pas aux hommes de s’effacer un peu plus dans le processus financier en allant plus vite et en demandant moins d’attention. Au contraire, Bitcoin est inconfortable.
« Dans l’état capitaliste, l’homme est moins opprimé par les puissances financières […] que par l’idéal bourgeois de sécurité, de confort et d’assurance. C’est cet idéal qui donne leur importance aux puissances financières ». Ellul.
Le protocole réintroduit l’homme dans la gestion de sa propriété. Il redevient acteur et seul responsable de son argent. Garder ses 24 mots, faire tourner son nœud, avoir un hardware wallet… L’homme assume de nouveau le risque de perdre son argent et n’a pas de possibilité de déléguer ce risque à un tiers. Bitcoin, cette technologie qui redonne du pouvoir : l’homme voit directement son impact et n’est pas effacé par la logique d’assurance.
Bitcoin face au Léviathan
C’est également une technologie qui permet à l’homme de lutter contre l’autre menace pour la liberté qu’est l’État (et les grandes corporations comme les banques). Bitcoin, enlève le caractère sacral à l’Etat en lui dérobant un de ses pouvoirs les plus précieux. Il remet en cause sa légitimité à gérer la monnaie.
Bitcoin montre également que la liberté ne se réduit pas à une définition limitée de droits constitutionnels. Ils sont nécessaires mais non suffisants. Tous ceux qui tombent dans le terrier du lapin en viennent à changer et à prendre du recul sur le monde. Bitcoin éveille les consciences, ce qui est le début de l’autonomie. En effet, la conquête de la liberté commence à l’intérieur des individus par une transformation de leur façon de juger.
Un État autoritaire peut par ailleurs facilement imposer son système de valeur en gelant les fonds et en modifiant la répartition des richesses. Avec bitcoin, peu importent vos valeurs, vous pourrez toujours conserver votre propriété, ce qui vous incite à maintenir votre singularité. L’État pourra toujours vous mettre en prison, mais une telle opération n’est pas scalable et coûte bien plus cher que de geler des fonds. Bitcoin est précieux, car il permet d’échapper facilement au contrôle et à la violence des États.
« Bitcoin est le seul jeu où la poursuite de l’intérêt personnel démantèle les pouvoirs en place. », Hugo Nguyen.
Bitcoin et la non-puissance
« Le choix de la non-puissance, et celui-là seul, nous situe dans une échelle de valeurs où la Technique n’a plus rien à faire. […] La non-puissance n’est pas l’impuissance. […] L’impuissance, c’est ne pas pouvoir à cause des circonstances de fait, à cause des limitations de notre nature, à cause de notre condition…. […] La non-puissance, c’est pouvoir et ne pas vouloir le faire. C’est choisir de ne pas faire. Choisir de ne pas exercer de domination, d’efficacité, choisir de ne pas se lancer dans la réussite. » Ellul.
Utiliser bitcoin en Occident pour faire ses courses est un acte de non-puissance. C’est inutile, c’est inefficace, c’est volatil, risqué et pourtant on le fait alors même qu’on a plus efficace : l’euro, le dollar. On combat les pressions des médias et les semonces des bureaucrates. Un véritable acte de résistance.
Pour conclure, Bitcoin semble s’apparenter à un outil convivial au sens d’Ivan Illich.
« L’outil est convivial dans la mesure où chacun peut l’utiliser, sans difficulté, aussi souvent ou aussi rarement qu’il le désire, à des fins qu’il détermine lui-même. L’usage que chacun en fait n’empiète pas sur la liberté d’autrui d’en faire autant. […] Entre l’homme et le monde, il est conducteur de sens, traducteur d’intentionnalité. » Ivan Illich.
Bitcoin est l’une des manifestations les plus pertinentes de la suprématie de la technique à l’âge moderne. Mais il s’agit également d’un objet complexe qui pourrait bien nous donner une première piste pour nous ménager un espace de liberté face à l’autonomie du système technicien. S’y intéresser est donc incontournable.
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Chaque jour, j’essaie d’enrichir mes connaissances sur cette révolution qui permettra à l’humanité d’avancer dans sa conquête de liberté.
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