Bitcoin (BTC) et philosophie : Diogène, bitcoiner malgré lui ?
On a tiré de Diogène des enseignements économiques peu orthodoxes. Accordons à ce premier bitcoiner quelques lignes pour voir de quoi retournent ses enseignements !
Qui est Diogène ?
Diogène est un philosophe grec de l’Antiquité né à Sinope (Turquie) en l’an 413 avant J.-C. et mort en 323 avant notre ère. On dit qu’il partageait la même époque que Platon, le disciple de Socrate de qui il tenait le surnom de « Socrate devenu fou ». En fait, il intégrait l’Académie, l’école fondée par Platon dont le fronton accueillait l’inscription « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre».
Mais Diogène était vite séduit par l’austérité, au point de choisir le confort d’un tonneau. Ce qui lui a valu un autre surnom, « Diogène le tonneau », et un qualificatif peu flatteur : « cynique » (du grec « sinos »). D’ailleurs, n’avait-il pas souhaité faire l’objet d’un buffet canin à sa mort ?
On retient pourtant de Diogène son désintérêt pour les conventions sociales et ses provocations. Le philosophe n’hésitait pas en effet de cracher sur ses hôtes et à faire des scandales répétitifs dans un contexte de décadence athénienne et de transition vers une puissance économique, militaire et politique hellénistique.
L’on se souviendra longtemps de cet anectode où Diogène a osé mettre à mal Alexandre le Grand. En rendant visite à ce transgresseur, le conquérant n’avait pas reçu le traitement digne de son rang.
Extrait de leur échange :
- Alexandre le Grand : Que puis-je faire pour toi ?
- Diogène : Ôte-toi de mon soleil.
- Alexandre le Grand : N’as-tu donc pas peur de moi ?
- Diogène : Qu’est-tu donc ? Un bien ou un mal ?
- Alexandre le Grand : Un bien.
- Diogène : Eh alors ! Qui donc pourrait craindre un bien ?
Diogène, le premier philosophe à souhaiter la fin de la banque
S’il y a des choses à retenir de Diogène, c’est avant tout sa volonté de démystifier les mains invisibles qui nous asservissent du monde et de nous-mêmes. Ce sont des chaines d’une apparence plaisante vu qu’il s’imbibe d’idéal de succès économique et politique, comme la situation d’Alexandre le Grand le démontre.
Si on dit que Diogène est le premier bitcoiner, c’est surtout lié au fait que le philosophe prône la « reconquête individuelle et collective d’un rapport libre et non croissant au monde sur le mode de la proximité », dixit Étienne Helmer.
Revenons un peu sur cette histoire de rupture avec l’institution bancaire de l’époque. On dit que le père de Diogène était un banquier à Sinope, mais l’histoire raconte qu’il y avait eu de la part, soit du père, soit du fils, une opération de falsification de la monnaie. Et corollairement une volonté de se séparer de la banque.
Représentation de la monnaie
Si le Cynique a voulu falsifier la monnaie, c’est parce qu’il avait trouvé derrière sa fonction d’« étalon de mesure de la valeur économique des choses et d’instrument de paiement » des codes sociétaux et leurs modes de transmission. En gros, la « monisma » incarnait la convention sociale vu qu’on lui confère le pouvoir de valoriser toute chose.
Or, cela était complètement erroné aux yeux de Diogène, associer la monnaie aux activités d’acquisition et d’accumulation ne fera que réveiller la cupidité chez l’homme, d’assouvir une soif insatiable. Son disciple Cratès de Thèbes a proféré un discours là-dessus : « ils s’entretuent [et] prennent les armes pour de l’argent […] ». Tel Alexandre le Grand.
Voici ce que Diogène, le philosophe peu enclin à la violence et l’asservissement institutionnel, lançait à l’occasion :
« Ce qui a beaucoup de valeur se vend pour rien et inversement. En tout cas, une statue se vend 3 000 drachmes, alors que pour deux sous cuivre, on a une mesure de farine. »
En d’autres termes, la farine se vendait plus cher qu’une statue, et c’était absurde. D’où la nécessité d’un autre critère dans l’usage de la monnaie, une qui viendrait d’une convention prônant le bonheur de l’homme. N’est-ce pas ce que l’on trouve dans le bitcoin de Satoshi Nakamoto ?
Représentation de la banque
Pour le Chien, la banque serait l’origine de la valeur de la monnaie, le promoteur de sa circulation dans la société. La banque aurait donc un côté maléfique vu qu’elle propage cette source de malheur et de violence.
C’est en travaillant aux côtés de son père, Hicésias, que Diogène a beaucoup appris de l’argent et de la banque. De là avait-il l’occasion de falsifier les pièces de monnaie, et par la même occasion l’esprit originel de cet actif et celui de la banque.
Fort heureusement que Diogène ne commença pas sa philosophie par la critique de la politique locale. Au lieu de cela, il s’en était pris à la banque et à son produit monnaie. Car il avait pu trouver, 25 siècles plus tôt, que le vrai pouvoir n’appartient pas à la « demos kratos » ni aux tyrans, mais… à la banque. Tous les acteurs de la société, les appareils institutionnels et consorts s’étaient trouvés, et bizarrement se trouvent encore, sous sa botte.
Diogène prône la simplicité et le juste milieu
La « poluteleia » et l’« euteleia » figurent parmi les concepts auxquels les cyniques comme Diogène attachaient beaucoup d’importance.
Poluteleia
Si le premier parle d’une vie coûteuse, l’autre l’aborde via sa simplicité. Pour les cyniques, le bonheur réside dans la liberté financière, plus précisément à l’égard de la finance et des autres éléments provenant de l’extérieur de son être. Mieux vaut se concentrer sur l’autosuffisance pour ne pas sombrer dans la dépendance envers autrui, notamment la banque.
Et pourquoi ne pas accorder de la valeur aux choses en fonction des circonstances. Diogène lui-même, qui privilégiait l’eau au vin, ne prenait ce breuvage qu’en des circonstances favorables.
La « poluteleia » incarne notre réponse au stimuli appétit, qui d’habitude est « vaine, paradoxale ou contre-productive, et éthiquement aberrante ». D’elle viendraient en effet des douleurs, notamment ceux liés à l’excès, ainsi que les craintes, les maladies, etc. Pour Diogène, se réjouir de ce qui se présente était l’idéal.
Euteleia
À son opposé se trouve l’« euteleia », la voie de la simplicité qui n’a rien d’un choix de la vie sauvage. Le régime alimentaire des cyniques se compose d’eau, de légumes et de toute autre alimentation facile d’accès. Pour pousser cet amour de la simplicité à l’extrême, Diogène n’hésitait pas à s’auto-satisfaire sexuellement dans les endroits publics : il se masturbait. Histoire de démontrer que l’appétit sexuel n’est pas si difficile à assouvir.
Le texte ci-dessous reflète l’essentiel de la pensée de Diogène :
« Il plaît […] aux cyniques de vivre frugalement (litôs), en usant des aliments d’un régime autarcique et du seul manteau simple, en méprisant la richesse, réputation et bonne naissance. Quelques-uns, en tout cas, mangent des herbes, ne boivent rien d’autre que de l’eau froide et utilisent des abris de fortune, ainsi que des tonneaux, comme Diogène qui disait que le propre des dieux est de n’avoir besoin de rien et celui des gens semblables aux dieux de désirer peu de choses. »
Et pour terminer avec l’« euteleia », traduisons le texte contenu dans la photo ci-dessous.
« Le philosophe Diogène mangeait du pain et des lentilles pour le souper. Il fut aperçu par le philosophe Aristippe, qui vivait confortablement en flattant le roi. Aristipe lui dit : « Si tu apprenais à être soumis au roi, tu n’aurais pas à vivre de lentilles ». Diogène lui répondit : « Apprends à vivre avec des lentilles et tu n’auras pas à être soumis au roi » – 370 av J.-C. »
Bref, ne faire que le nécessaire, limiter le travail, quitte à mendier pour écarter toute forme de « désir-manque » ou de « visée accumulatrice ». Et ne pas devenir esclave de la richesse.
Diogène, un vrai bitcoiner
Les prises de position de Diogène concernant le travail et la mendicité a en partie donné naissance à une réévaluation des rapports sociaux. Le Chien a toujours hait la cupidité et le pouvoir lié à la richesse. D’où son choix de la mendicité, une nouvelle forme d’échange dépourvu de douleurs et de violence.
Par ailleurs, le don et le contre-don, comme on a vu pour l’Ukraine, ne doivent relever que du service rendu. Il requiert, comme Jacques Salomé aimerait démocratiser, la maîtrise de l’art de donner et de recevoir.
Également, il y a lieu de citer l’importance accordée par Diogène à la construction idéologique, garant de l’accès au pouvoir. Les rois avaient la manie d’en faire usage pour piller et faire croître ses gains. Pour le renverser, il faut recourir à la « mendicité cynique ».
Et cela a un rapport avec ce que Satoshi Nakamoto a fait en mettant sur pied une monnaie déflationniste, le bitcoin. Cette cryptomonnaie, similaire aux objets de collection, prendra de la valeur avec le temps.
Si les gens avaient tendance à tout sacrifier pour accumuler plus d’actifs et se faire plus de bénéfices, Diogène leur ont appris de devenir anti-matérialiste, à mesurer la quantité de matérielles nécessaires pour une vie.
Satoshi a fait un cadeau (accompagné de directives) à l’humanité, même s’il n’est pas le père de l’avidité découlant du bitcoin. L’homme, en tant que décideur, doit tenir compte des conséquences de ses choix. Au moins, il doit prendre désormais en compte la valeur des choses qu’il consomme. Qui sait s’il saura par la même occasion la valeur du temps et des relations humaines ?
Pour terminer cette analogie, traduisons ce commentaire de oldskoolr sur Cryptonewmedia.
Pour lui, Diogène était le premier bitcoiner parce qu’ « il :
- était banni se son chez soi pour avoir falsifié la monnaie ;
- a inventé le mot « cosmopolite », signifiant citoyen du monde ;
- trollait les éminents penseurs avant et pendant son existence ;
- vivait dans un tonneau ;
- se promenait dans la ville avec une lanterne à la recherche d’un économiste honnête ;
- était un masturbateur public éhonté.
Cela ressemble à un Bitcoiner pour moi ».
Ce fut un long exposé, mais espérons que vous avez pu tirer des leçons sur les dangers de la richesse et de l’accumulation grâce à Diogène, le premier bitcoiner de l’histoire.
Sources : Reddit ; Cairn Info
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