Bitcoin (BTC) et Internet, comparaison de deux révolutions numériques
L’internet de l’information a constitué le plus grand changement depuis l’apparition de l’imprimerie. L’invention de Gutenberg a engendré des impacts majeurs, en rendant accessible la connaissance jusque-là détenue par les élites. Le pouvoir médiatique, politique et monétaire passe de fait par la maitrise de l’information et de la valeur. Internet représente une étape dans l’histoire de l’humanité, en permettant à tous de consommer, produire et transférer facilement de l’information. Le protocole du bitcoin constitue l’étape subséquente, en facilitant le transfert de valeurs par internet, sans tiers de confiance. Le bitcoin et internet sont deux révolutions numériques aux conséquences politiques, technologiques et économiques immenses. Retour sur leurs évolutions croisées qui présentent beaucoup plus de similitudes qu’il n’y parait.
Bitcoin versus Internet, Information versus Valeur
Sans intermédiaire de confiance centralisé, Internet ne sait gérer que de la copie d’information. Toutefois, il ne sait pas nativement appréhender le transfert de valeur numérisée. Un email envoyé avec une pièce jointe reste un email copié avec une pièce jointe copiée. Cependant, un transfert de données personnelles par exemple ne devrait pas permettre d’en faire une copie. Il y va de même pour tout ce qui concerne la valeur numérisée présentant une certaine rareté, comme la monnaie. Autrement dit, l’information se multiplie (copier-coller), tandis que la valeur se divise (couper-coller).
Les protocoles d’internet et du bitcoin présentent les mêmes objectifs, dans la mesure où ils incarnent une technologie de communication. Plus précisément, une technologie de facilitation de la communication. L’intention stratégique d’internet vise à numériser l’information en fluidifiant sa navigation et sa duplication entre les différents serveurs et ordinateurs.
Qu’en est-il de la numérisation de la valeur ? L’amélioration des systèmes financiers passait également par l’informatisation et la numérisation. Or, la technologie de transfert de valeur numérique n’existait pas lors de la création des premières versions d’internet. D’où l’essor de la bancarisation et des intermédiaires financiers dans les années 70 et 80, pour gérer cette valeur numérisée. Ces tiers de confiance, majoritairement les banques, impliquent des enjeux opérationnels, économiques et écologiques importants. L’intention stratégique du bitcoin vise donc à numériser la valeur via internet, de pair à pair, en se passant de ces intermédiaires de poids.
Bitcoin et Internet, innovations dérisoires, dangereuses, puis évidentes
La mission des deux protocoles Bitcoin et internet est donc en tous points comparables. Les deux réseaux le sont également au niveau des critiques. Rappelons-nous le rapport Thery en 1994 qui stipulait qu’internet ne remplacerait pas le Minitel et qu’il ne gèrerait jamais la voix et la vidéo. Souvenons-nous du prix Nobel d’économie Paul Krugman qui affirmait en 1998 qu’internet ne serait pas plus révolutionnaire que le fax en 2005. Il est avéré qu’internet est aujourd’hui incontournable. Qu’en est-il de l’évolution des cryptomonnaies, alors que leur niveau d’adoption est le même que celui d’internet en 1998 ?
Nous vivons actuellement les mêmes critiques et la même évolution de pensée sur le réseau Bitcoin. Les poncifs éculés sont toujours les mêmes. Bitcoin serait trop énergivore, alors que le minage participe davantage au développement économique des pays en développement. Cette cryptomonnaie serait trop volatile et spéculative, alors que la technologie n’a que 14 années. Elle représenterait la monnaie des trafiquants, alors que la blockchain est publique et que toutes les transactions sont traçables et pseudonymes. Bitcoin ne serait pas une monnaie ni une réserve de valeur. L’offre se raréfie, et le bitcoin constitue un moyen d’échange pratique et une unité de compte transportable, rare et divisible. Sa demande est en hausse exponentielle, en atteste sa valeur croissante sur le long terme. Sans compter son utilité sociale avérée auprès des non bancarisés, exclus du système financier et minorités discriminées.
Les polémiques autour du bitcoin tournent autour des mêmes erreurs d’appréciation commises jadis sur internet. Les détracteurs de cette innovation assument que l’écosystème n’évoluera jamais. Ils appréhendent cette révolution numérique en fonction du contexte actuel. Comparer Bitcoin au système bancaire actuel revient à comparer internet au Minitel. Autrement dit, dans les deux cas, comparer une révolution naissante à un système à bout de souffle.
Web 1.0, un internet de l’information né pour être décentralisé
Il reste que Bitcoin constitue l’innovation la plus retentissante du 21ᵉ siècle après celle d’internet. Cependant, internet est sans conteste la plus grande révolution technologique du 20ᵉ siècle. Le premier réseau de communication entre ordinateurs à travers des lignes téléphoniques a été créé dans les années 1960. Il est à l’origine de ce que nous appelons aujourd’hui communément l’internet public ou « World Wide Web ». L’internet a été créé le 06 août 1991 par Tim Berners Lee. Depuis cette date, l’adoption a été exponentielle. La multiplication des connexions entre les serveurs et entre les ordinateurs a décuplé la puissance de l’effet de réseau mondial. Le réseau s’appuie sur un protocole ouvert, qui a fourni les bases d’un système destiné à être décentralisé. Le Web 1.0 est ainsi né, basé sur de l’information statique.
La puissance d’internet vient en premier lieu de l’existence de connexions instantanées qui accélèrent le transfert d’informations. La puissance de ces connexions et de l’effet de réseau qui en découle conditionne la vélocité de l’information transmise. Depuis 1991, elle ne cesse d’exploser, rendant l’innovation plus puissante, plus résiliente, plus instantanée et plus efficace. De l’information statique à l’utilisation du streaming vidéo (soit 80 % du trafic d’internet), la progression est fulgurante. Alors que le Web 1.0 proposait un accès à l’information statique, le Web 2.0 offre une approche plus interactive, plus collaborative et plus dynamique. L’infonuagique, les téléphones intelligents, le commerce électronique et les réseaux sociaux découlent de cette nouvelle version d’internet. Tout comme les géants d’internet, communément appelés les GAFAM.
Web 2.0, la recentralisation de l’internet de l’information
En effet, une grande partie du pouvoir et du contrôle de l’information est détenue par ces grosses compagnies. La valeur accumulée par cette information contrôlée bénéficie essentiellement à ces géants d’internet. À titre d’exemple, ils monétisent les données personnelles de leurs clients. D’autre part, ils ont un pouvoir de censure sur les informations qu’ils détiennent ou sur leurs utilisateurs. Enfin, la centralisation des serveurs de données rend les systèmes plus fragiles et sensibles aux attaques, fuites d’information et obsolescence. Ce phénomène de centralisation d’internet ne fait que s’accroitre au fil du temps. Née du Web 2.0, cette faiblesse d’internet nous permet de comprendre un aspect essentiel sur la valeur de l’information. Cette valeur est essentiellement due à l’utilisation de l’information, son accès et la vitesse à laquelle elle navigue. Et ce, malgré la surabondance de cette information sur internet.
Web 3.0, la solution contre l’hégémonie des acteurs centralisés ?
Le problème créé par l’avènement du web 2.0 pose certaines questions. Comment identifier et évaluer cette valeur concrète de l’information ? Et comment faire pour retrouver un internet plus ouvert et juste, où chaque utilisateur aurait le contrôle de ses données ? Autrement dit, comment faire pour éviter la centralisation du pouvoir de l’information par les géants du Web ? Comme mentionné précédemment, la valeur de l’information est réelle, lorsque cette information constitue un véritable enjeu de pouvoir. Par conséquent, la question consiste à savoir où se concentre le pouvoir de contrôle de cette information. Elle suscite également une autre interrogation : comment faire pour ne pas attribuer ce pouvoir à une seule entité ?
Aucune alternative technologique n’était disponible pour répartir ce pouvoir de contrôle de l’information et de sa valeur. Cependant, la technologie du bitcoin et de son mode de consensus apporte une solution à ce problème fondamental d’internet. Cette innovation permet de mettre d’accord plusieurs ordinateurs en même temps, sans intermédiaire de confiance, ce qui était impossible auparavant. En effet, le web 2.0 ne permet pas de créer ce consensus, autrement que par un tiers de confiance centralisé.
À titre d’exemple, Facebook possède nos données personnelles, et détient seul le privilège de les monétiser unilatéralement. Une version décentralisée de ce réseau social répartirait les bénéfices sur l’ensemble des validateurs en charge de sa gouvernance. Les artistes et créateurs de contenus seraient rémunérés de manière plus équitable, alors que les royalties sont essentiellement reversées aux plateformes de streaming et de distribution numérique. Tous les secteurs de l’internet seraient touchés par cette nouvelle version du Web 3.0 : le stockage et hébergement de données, serveurs, navigateurs et applications, infrastructure de streaming vidéo, etc.
Web 3.0, un internet des valeurs né pour être décentralisé
Quels seraient par conséquents les avantages concrets du futur web 3.0 ? En premier lieu, les futures plateformes de cette nouvelle version seraient plus ouvertes et plus accessibles. Gouvernées et maintenues par plusieurs validateurs, elles éviteraient les pannes et la censure potentielle unilatérale d’entités centralisées. Deuxièmement, tous les validateurs qui participent librement à la maintenance d’une plateforme seraient rémunérés dans la cryptomonnaie de cette plateforme. Ils interviendraient de fait dans sa gouvernance et contribueraient à la répartition du pouvoir.
Enfin – et c’est l’avantage le plus important – le futur internet permettrait de détenir sa propre propriété digitale. À l’heure actuelle, il est impossible de détenir ou de transférer toute valeur de façon numérique. À titre d’exemple, l’argent qui se trouve sur nos comptes en banque ne nous appartient pas. C’est un prêt fait à la banque sous forme de créance. En cas de faillite de la banque, cet argent est définitivement perdu. Seule la banque peut transférer numériquement de l’argent à notre place. La technologie du bitcoin permettrait de détenir une clé privée unique servant au transfert de bitcoins d’une adresse à l’autre. C’est le même processus pour tout transfert de valeur numérique, et ce, sans aucune autorisation d’un intermédiaire de confiance centralisé. Nos données personnelles ne pourraient plus être utilisées par un réseau social sans notre consentement. La révolution technologique du bitcoin a inventé la notion de possession numérique.
L’intention stratégique du futur web 3.0 consisterait donc à privilégier cette notion de décentralisation, voulue par le web 1.0 il y a une trentaine d’années. Basée sur l’innovation du bitcoin, elle viserait donc à raviver la mission initiale du web 1.0, à savoir un internet détenu par le peuple.
Web 3.0, la recentralisation de l’internet des valeurs
Comment ces bouleversements se traduiraient-ils concrètement dans le futur web 3.0 ? Les potentielles applications sont vastes et nombreuses, et restent encore à conceptualiser. D’une part, la programmation de la valeur sous forme de contrats intelligents élargira le champ des possibles. D’autre part, le web 3.0 serait un internet vraiment décentralisé. Chaque validateur représenterait une petite partie de la blockchain, et ferait office de serveur. Aucune compagnie ne centraliserait les données. De fait, les interfaces client ne changeraient pas drastiquement dans ce cadre. En revanche, l’infrastructure en arrière-plan serait complètement différente. Les informations de navigation ne seraient plus partagées à des annonceurs, et les utilisateurs se réapproprieraient internet, comme prévu initialement.
Cependant, l’évolution de l’écosystème des cryptomonnaies montre que la décentralisation parfaite est pour le moment une utopie. Exactement comme internet. Le niveau de décentralisation et de neutralité de l’ensemble des projets reste disparate. Le bitcoin représente certes la neutralité et la décentralisation parfaites, car aucune entreprise n’est en arrière de ce réseau acéphale. Toutes les autres initiatives demeurent cependant des projets entrepreneuriaux et pilotés par des acteurs centralisés. À l’image des GAFAM pour l’internet que nous connaissons aujourd’hui. Ces projets sont à risque d’être censurés car soumis à la législation locale. Ce qui impacte la neutralité et la décentralisation, au cœur de cette révolution technologique du transfert de valeur. Ces projets restent toutefois indispensables à l’évolution de l’écosystème, car ils permettent l’innovation permanente et de manière agile.
Web 3.0, quelles solutions contre l’hégémonie des acteurs centralisés ?
La blockchain du bitcoin représente certes le seul réseau véritablement décentralisé et acéphale de l’écosystème. Néanmoins, pourra-t-on se passer des autres blockchains qui permettent d’éliminer certains intermédiaires de confiance via une architecture même imparfaitement distribuée ? Car l’utilité de la blockchain reste d’améliorer la communication et les opérations de manière automatique. La puissance de traitement engendrée par une architecture distribuée permettra, à tout le moins, de faire de l’optimisation incrémentale. Et ce, au préjudice de la sacro-sainte philosophie de la parfaite décentralisation.
Une deuxième solution consisterait à privilégier naturellement le réseau Bitcoin comme base pour le futur internet décentralisé. La scalabilité du réseau ne permet pas toutefois d’assurer et d’anticiper un volume croissant de transactions. Mais l’innovation et la recherche pourraient changer la donne et améliorer la performance du réseau Bitcoin. Tout comme elles ont amélioré celle d’internet, qui était lent et quasiment inutilisable jadis. La deuxième cryptomonnaie en capitalisation Ethereum pourrait offrir cette infrastructure, notamment du fait de sa future transformation. Cette blockchain possède un effet de réseau ainsi qu’une garantie supérieure aux autres blockchains d’infrastructure concurrentes. Elle affiche cependant les mêmes risques de centralisation que les autres blockchains, nonobstant sa décentralisation plus avancée.
Une troisième approche technologique concerne les standards open source, qui ne nécessiteraient pas d’utilisation de la blockchain. Le système de fichier interplanétaire IPFS est une illustration parfaite de cette approche. Tim Berners-Lee, inventeur du web 1.0, ne croit pas lui-même en un internet des valeurs décentralisé. Sa solution Solid permet d’avoir à des standards ouverts et interopérables. Tout comme l’alternative du Web5 initiée par Jack Dorsey, fondateur de Twitter, à savoir un identifiant décentralisé qui rend possible le transfert de ses données personnelles de manière pseudonyme.
Conclusion
L’incertitude autour de la future version d’internet ne tourne pas uniquement autour de la décentralisation prônée par la technologie du bitcoin. La scalabilité, autre composante du trilemme de la blockchain, représente un enjeu majeur dans le contexte d’une architecture distribuée. Par ailleurs, le Web 3.0 sera inévitablement confronté à la démocratisation des blockchains décentralisées. Se familiariser avec la notion de portefeuille privé ou de clé privée ne tombe pas sous l’évidence. À plus forte raison pour une personne ignorante de l’écosystème, à qui incomberait la responsabilité totale de sa propriété numérique. Cependant, ces enjeux ont-ils plus de poids que les avantages mentionnés du futur internet ? Les bénéfices du futur web 3.0 suffiront-ils dans le futur à compenser les défaillances actuelles d’internet, que sont la censure, les pannes techniques, la surabondance de publicités ou l’exploitation et le contrôle de nos données ?
Deux choses sont certaines. D’une part, l’optimisation des systèmes d’information et de valeur passera nécessairement par la tokenisation, essentiellement sous forme de NFT. D’autre part, les espaces géographiques disparaitront progressivement. L’actuelle version d’internet a aboli les frontières de l’information. La future version d’internet supprimera l’espace géographique relié à la valeur. Ainsi, les monnaies locales rattachées à leurs espaces géographiques seront remplacées par des valeurs digitales tokenisées rattachées à l’espace numérique d’internet. En bref, l’économie digitale incarnée par la technologie du Bitcoin dans l’internet du futur et dans le metaverse, n’aura plus de limites territoriales. Décentralisée ou non.
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Consultant international en gestion de projet. Ingénieur de formation, avec une maîtrise en administration des affaires (M.B.A.) et affaires internationales d’HEC Montréal. Passionné de technologie et de cryptomonnaies depuis 2016.
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